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III

Sont-ce ces considérations qui ont fini par déterminer une partie des Irlandais à modifier leur ligne politique et à l’incliner légèrement dans le sens de la politique galloise ? On pourrait le croire à la formation de ces sociétés et de ces ligues d’origine récente, comme la Gaelic Union, la Celtic Society, la Society for the préservation of the irish langage, etc., plus pratiques que spéculatives. L’histoire de l’Irlande est trop connue pour qu’on y insiste à cette place. Deux faits économiques la dominent en ce siècle : la diminution graduelle de la population et l’élévation correspondante des impôts. Tandis que la population du pays de Galles doublait en cinquante ans, l’Irlande, par la répression, la misère, l’émigration, tombait dans le même laps d’années de 8 196 597 habitans à 4 704 750 habitans. C’est le chiffre de 1891[1]. Au recensement précédent, en 1881, elle comptait encore 5 174 836 habitans, soit, en dix ans, une perte sèche de 470 086 habitans. Parallèlement, le chiffre des impôts, qui était, il y a cinquante ans, de 6 730 000 livres sterling, montait en 1891, pour une population réduite de moitié, à 11 500 000 livres. On peut admettre qu’il y a une certaine connexité entre cette élévation des impôts et l’abaissement de la population, et l’on peut admettre aussi, je pense, que cette connexité entrait dans les calculs du gouvernement. L’ancien secrétaire pour l’Irlande, sir Robert Peel, constatant que l’émigration, en quinze ans, avait balayé deux millions d’habitans, expliquait avec humour que, « pour peu qu’un demi-million consentît encore à émigrer, cela suffirait pour que la condition du reste des Irlandais se trouvât sensiblement améliorée. »

Il n’y a pas trop paru. L’émigration a encore réduit d’un million et demi (soit un million de plus que ne demandait sir Robert Peel) la population de l’Irlande. Les quatre millions qui restent ne sont pas en meilleur point qu’avant. Il faut donc chercher une autre explication à la crise irlandaise. Avant la conquête, le sol appartenait aux habitans. On le confisque[2]. Ce peuple avait

  1. La population n’a guère bougé depuis et est évaluée en chiffres ronds à 4 500 000 âmes. Politiquement, le nord-est, peuplé d’Anglo-Saxons, et les deux grandes villes, Dublin et Belfast, sont unionistes. La représentation au Parlement anglais comprend 103 membres. Home-Rulers : Boroughs, 11 ; Counties, 71. Total : 82. — Unionistes : Boroughs, 2 ; Counties, 14 ; University, 2. Total : 21.
  2. D’après un relevé bien connu, dit Stuart Mill, toute la propriété foncière de l’île a été confisquée jusqu’à trois fois successivement. »