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Eisteddfodau, qui ont vu, dans le cercle des pierres sacrées, se lever l’archi-druide, grand vieillard blanc au pectoral d’or massif, la tête ceinte dan feuillage de chêne bronzé, et qui l’ont entendu psalmodier sur la foule inclinée et découverte la prière solennelle du Gorsedd, ceux qui ont fait attention surtout à l’émotion religieuse de cette foule, au vaste sanglot qui la secouait, quand le héraut déroulait la liste funèbre des bardes décédés, puis à l’enthousiasme qui la redressait et l’illuminait toute, quand ce même héraut entonnait l’air national gallois : « La terre des ancêtres, » repris à l’unisson par un chœur formidable de vingt mille voix :

Galles, Galles, la douce demeure est en Galles ;
Jusqu’à la mort dureront mon amour,
Ma passion et mon tourment pour Galles…


ceux-là n’ont plus souri du spectacle et ont compris la magie puissante, la fascination mystérieuse qu’il continue d’exercer sur l’âme impressionnable des Gallois. Le néo-druidisme n’est d’ailleurs point, à proprement parler, une doctrine religieuse. Il s’y agit moins, pour les affiliés, de ressusciter une religion morte que d’honorer et de commémorer cette religion dans ce qu’elle avait de national : sur tout le reste, offices et rites, flotte une douce teinte d’ironie qui nous avertirait que les célébrans ne sont point leurs propres dupes[1].

Qu’on y prenne garde pourtant : c’est ce respect de la tradition qui fait la force du sentiment nationaliste chez les Gallois et, par la conscience qu’il leur donne du passé de leur race, les rend si intraitables sur tout ce corps de preservative measures dont le faisceau grossit d’année en année et présente toute l’apparence d’une charte en formation. Il ne leur suffit plus aujourd’hui du simple bill de disestablishment qui leur accordera l’autonomie de l’Église indigène ; l’octroi aux Irlandais et aux Écossais du Landbill et du Crofters Holdings act les a piqués d’émulation et ils entendent que leurs propres tenanciers bénéficient d’un privilège analogue. Pour ne pas parler ici des revendications quelque peu

  1. On lit cependant dans la Revue celtique de 1888 : « Le 23 février dernier est mort à Pontypridd, dans le comté de Clamorgan, M. Evan Davies, ou, comme il se faisait appeler, Myfyr Morganwg. Il avait acquis une célébrité bizarre en prétendant rétablir la religion druidique et en s’en faisant grand prêtre. Il avait trouvé un certain nombre de disciples qui se réunissaient à des dates déterminées à Pontypridd pour célébrer le culte druidique dont il croyait avoir retrouvé les rites mystérieux. >>