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La vérité est que les habitudes sociales des Highlanders, leur manque d’initiative, un sol ingrat, l’ « absentéisme » des lairds et l’éviction lente par leurs successeurs anglo-saxons de populations entières de tenanciers, ont faussé pour longtemps le ressort de cette race. Tant que les clans gardèrent leur cohésion, l’unité d’aspirations et de vues se maintint dans les Highlands. Le pacte d’union signé en 1705 n’avait été voté par le dernier parlement écossais qu’à une majorité de 41 voix, et les soulèvemens jacobites de 1715 et de 1746 témoignèrent assez de la persistance du sentiment nationaliste. Mais du jour que les chefs de clans désertèrent leurs glens pour tenter la fortune à la cour ou dans les charges de l’État, ce fut fini des Highlands. Les rudes propriétaires anglo-saxons qui prenaient la place des anciens lairds ne se firent aucun scrupule de confisquer les communaux et d’élever le prix des fermages. Les quatre-vingts centièmes de la population furent acculés à la misère ou à l’émigration en masse. 500 000 d’entre eux gagnèrent l’Amérique. L’émigration vida des paroisses entières. Ces grandes rafles collectives ont encore lieu de temps à autre[1] ; mais l’émigration la plus fréquente se fait vers l’intérieur, où les Highlanders cherchent un emploi temporaire comme pécheurs, journaliers de la terre ou domestiques. Les habitudes de la race les rejettent invinciblement, après ce temps de louage, sur la cellule primitive, sur le clan, qui survit à sa désorganisation et reste tout au moins un foyer d’assistance morale. Les plus sinistres descriptions qu’on a données de certains intérieurs de la Cornouaille française pâlissent cependant à côté de ce que M. Ch. de Calan nous rapporte des huttes de boue, de la saleté repoussante et de la paresse invétérée des Highlanders du Sutherland [2]. Quoi d’étonnant si toute conscience politique est morte chez ces larves faméliques et n’est-il pas extraordinaire plutôt que la domination anglo-saxonne, appuyée d’un presbytérianisme méticuleux et jaloux, n’ait pas étouffé le peu qui subsistait dans la tradition et la langue de leur esprit national ? Mais on voit au contraire que, dans les Highlands comme en Bretagne, les vieux rites celtiques du mariage, de la naissance, de la mort, continuent d’être fidèlement observés. Sur les bruyères des glens, dans les flottantes écharpes deo la brume marine, d’étranges formes se meuvent : fées

  1. C’est ainsi que de 1880 à 1890, en dix ans, 150 000 Écossais ont émigré aux États-Unis.
  2. Cf. Charles de Calan, Science sociale (1895).