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d’un libre élan vers le vrai, elle attend que les libres esprits la comprennent.

Sans doute il existe une loi de socialisation progressive et spontanée du travail mental, que nous avons mise en évidence ; mais nous n’avons vu cette loi porter que sur deux choses : 1° les instrumens, qui sont les méthodes, les principes et les grandes applications déjà connues ; 2° les résultats, qui tombent immédiatement dans le domaine social et deviennent la commune propriété de tous les hommes. Le travail lui-même, l’inspiration qui le soutient, l’invention d’où il procède ou à laquelle il aboutit conservent le sceau de la personnalité. Ils constituent la propriété typique, celle qui sort tout armée du cerveau du penseur ou de l’artiste. Dans le communisme, auquel trop de socialistes se croient obligés de tendre, le progrès scientifique, philosophique, esthétique, industriel, dépendrait ou d’examens, c’est-à-dire d’un vaste mandarinat de fonctionnaires ; ou d’élections, c’est-à-dire d’une vaste concurrence industrielle, scientifique et artistique. Ces deux moyens ne valent ni la liberté individuelle, ni l’association libre, qui ont pour elles l’avenir[1]. L’association, dit Platon, fait de l’impuissance de chacun la puissance de tous. Tocqueville a eu raison de dire que la grande science du XXe siècle serait la science de l’association ; mais l’association est elle-même, comme nous l’avons montré, le résultat d’un travail mental et moral. Vouloir s’associer et savoir s’associer, ce n’est pas chose donnée au premier venu ; ce n’est pas non plus un bien passif et tout fait qui vous tombe des nues, ou qu’on puisse réaliser par une révolution et par un décret du gouvernement ; c’est le résultat d’une lente série d’efforts personnels et collectifs, provoqués par des sympathies, réglés par des idées, aboutissant à des « synergies. » L’association est le triomphe des libres volontés et des intelligences. De plus, à la lutte matérielle pour la vie, l’association substitue l’accord pour la vie, et tout le mouvement de l’histoire, loin d’être une simple « guerre de classes, » est un concours des esprits ayant pour but cette paix finale, qui est le dernier effet du travail mental et moral.


ALFRED FOUILLEE.

  1. Voyez, dans la Revue du 1er juin 1899, l’article de M. Charles Benoist ; L’Association dans la Démocratie.