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hors le cerveau et le cœur ; puis, quand le cœur est aux abois et que la température du sang tombe à 30°, lui qui avait commencé le premier à se remuer dans l’organisme, continuera à remplir fidèlement ses fonctions jusqu’à la dernière minute : il recueillera jusqu’à l’instant suprême les derniers résidus d’énergie des organes pour les transmettre au cerveau, et le dernier échange se fera avec la dernière systole du cœur. « Merveilleux exemple d’un organisme où la suprématie intellectuelle est respectée et entretenue jusqu’à la fin au milieu de la plus terrible des destructions, c’est-à-dire la mort par inanition[1]. Il y a là une leçon donnée par la nature aux sociétés humaines : elle leur enseigne la valeur qu’il faut attribuer au travail cérébral.


II

Essayons maintenant, — c’est pour nous la tâche essentielle. — de dégager les vraies lois de développement du travail au sein de la société humaine. La première de ces lois, c’est la prédominance progressive du travail mental. Elle se manifeste par le mouvement de la science et par celui de l’industrie scientifique, qui caractérisent l’âge moderne. Elle a pour conséquence le progrès simultané de l’invention et de l’imitation, mais avec une croissante prépondérance assurée à la première.

Ni les économistes, ni les socialistes n’ont assez insisté sur la distinction profonde qui existe entre le travail d’invention et celui d’imitation, ainsi que sur la solidarité qui relie ces deux sortes de travail. Le premier est manifestement le plus intellectuel, et le second se borne parfois à une sorte de reproduction mécanique. La vraie source de la richesse est l’invention, qui suit une marche de plus en plus accélérée. Pas une industrie, pas un travail utile, si modeste qu’il soit, qui ne présuppose une invention préalable. Il a fallu inventer des vêtemens, inventer des maisons, inventer la chasse, inventer la pêche, inventer l’agriculture, inventer le pain et le vin, inventer les routes, inventer les chemins de fer, inventer la natation, puis la navigation. Nous vivons d’inventions accumulées, de vérités découvertes, de raisonnemens victorieux qui ont percé à jour la réalité, d’idées devenues des forces par les sentimens quelles ont développés et par les actions qu’elles ont provoquées.

  1. Mosso, la Fatigue : Paris. Alcan, 1892.