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évincés firent tout le bruit possible, et nous avouons qu’ils en avaient quelque droit. Les États-Unis et l’Angleterre ne manquèrent pas de les soutenir. Celle-ci cherchait d’ailleurs, tout juste à cette époque, à réunir en faisceau contre l’infortuné Portugal un ensemble de griefs qui n’étaient pas tous aussi bien fondés que celui du colonel Mac-Murdo, et qui aboutirent à un ultimatum brutal dont le souvenir n’est pas perdu. L’Angleterre interdisait au Portugal de relier, de l’ouest à l’est de l’Afrique, ses possessions d’Angola et de Mozambique ; et, pour ne pas le laisser exposé à une tentation ultérieure de ce genre, elle lui prenait de ses possessions africaines tout ce qui était à sa convenance. La question du chemin de fer Mac-Murdo n’occupait qu’un rang secondaire dans la liste des revendications britanniques ; cependant elle n’y avait pas été omise, et elle fut réglée avec le reste. Il resta entendu que le Portugal paierait une indemnité aux concessionnaires dépossédés ; le chiffre devait en être fixé par voie d’arbitrage. Les arbitres de Berne ont mis une dizaine d’années à poursuivre très consciencieusement leur enquête pour déterminer le chiffre réellement dû. Ils pensaient sans doute qu’à mesure qu’on s’éloignait de l’origine de cette affaire, les passions premières s’apaiseraient ; mais, s’ils ont nourri cette espérance, ils se sont trompés. En dix ans, certaines passions s’apaisent en effet : par malheur, d’autres les remplacent et ne sont pas moins exigeantes. Lord Salisbury, interrogé récemment à la Chambre des lords sur les lenteurs du tribunal arbitral de Berne, a répondu qu’il les regrettait, mais qu’il ne dépendait pas de lui de les abréger. Au fond, l’impatience de l’Angleterre et des États-Unis était atténuée par cette considération qu’à l’indemnité à fixer viendraient s’ajouter les arrérages de l’intérêt à 5 p. 100 : l’argent du colonel Mac-Murdo et de ses associés n’avait pas rencontré un mauvais placement. C’est un fait psychologique assez généralement constaté qu’une créance en litige devant un tribunal s’accroît et prend des proportions de plus en plus vastes dans l’imagination de ses porteurs, de sorte que ceux-ci éprouvent presque toujours une déception lorsque le jugement intervient. La règle a trouvé son application dans le cas dont il s’agit.

Le tribunal arbitral de Berne a rendu sa sentence il y a une quinzaine de jours. Le Portugal a été condamné à payer, en dehors de 700 000 fr. déjà versés à titre d’acompte, une somme de 15 314 000 fr. ; plus, pour les intérêts, un supplément d’environ 8 422 700 francs. Le total s’élève à plus de 24 millions. C’est, comme on dit, un joli denier, et les intéressés auraient dû s’en montrer satisfaits. Mais ils avaient espéré bien davantage, et on assure que, lorsque le chiffre que nous