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devant leur imagination ont beau être tristes, elles ne modifient en rien leurs résolutions premières. Ils iront jusqu’au bout de leur aventure. Mais le malaise qu’ils éprouvent devient de jour en jour plus sensible, et ils ne le déguisent plus.

C’est qu’en vérité la situation de lord Roberts à Blœmfontein n’est pas celle d’un vainqueur. Il avait cru d’abord et donné à croire qu’elle était telle. Ses premières dépêches traitaient sommairement M. le président Steijn d’ex-président, et elles annonçaient que les Orangistes terrifiés faisaient à l’envi leur soumission. Bientôt, il a fallu en rabattre. L’armée boer, affaiblie un moment par ses défaites, mais nullement démoralisée, n’a pas tardé à reconnaître les positions anglaises et à en découvrir les points faibles. Avant de marcher plus au nord, il fallait que lord Roberts assurât ses communications avec le sud. Il est en plein pays ennemi, et ne peut pas y faire un pas sans emporter avec lui tout ce dont une armée a besoin pour vivre. Or, tout lui manque. Les Boers sont déjà sur ses communications, et viennent l’insulter jusqu’à quelques kilomètres de Blœmfontein. Son approvisionnement en eau est devenu des plus difficiles. Ses chevaux sont attaqués par une maladie qui les décime. Il est réduit à une immobilité qui coûte certainement à son ardeur, et arrête l’élan qu’il avait imprimé tout d’abord à ses troupes. La saison même devient un danger de plus ; les journées sont chaudes, les soirées et les nuits sont froides ; l’armée souffre de ces brusques variations de température contre lesquelles on n’a pas su la protéger suffisamment. On se demande si, à moins d’un effort vigoureux pour rétablir la sécu rite de ses communications, lord Roberts ne se trouvera pas bientôt enveloppé de commandos ennemis, et exposé à subir les privations les plus pénibles.

Nous avons dit que les Boers venaient quotidiennement le harceler jusque sous les murs de Blœmfontein. C’est dans une de ces expéditions, qui réussissent souvent, mais qui, naturellement, échouent aussi quelquefois, qu’a péri notre compatriote, le colonel de Villebois-Mareuil. Ceux de nos lecteurs qui ne le connaissaient pas comme militaire ont pu l’apprécier comme écrivain, et, pour ce motif, nous devons un double regret à sa mémoire. Il avait donné à cette Revue des travaux distingués qui témoignaient de la délicatesse de son esprit et de la pénétration de son jugement. Sous des formes élégantes, : le colonel de Villebois-Mareuil avait une âme ardente, généreuse, un peu romanesque. Nous ne savons quel motif l’avait amené à donner sa démission à un âge encore jeune, et alors qu’une longue