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les anciennes méthodes de critique disparaissent pour céder la place à l’étude, plus ou moins approfondie, de « l’évolution » des genres et des styles ; mais aux États-Unis cette doctrine nouvelle a, dès maintenant, produit tout un grand mouvement de critique et d’histoire littéraires, d’autant plus intéressant qu’il se manifeste avec plus d’indépendance et de variété. A côté du livre de M. Cross je pourrais citer une vingtaine d’ouvrages américains, publiés depuis deux ou trois ans, et qui portent non moins clairement la trace de la même influence, sous la diversité des sujets qu’ils traitent[1]. L’un est consacré aux origines du roman picaresque en Espagne, un autre au développement de la critique littéraire en Italie durant la Renaissance, un autre encore à l’histoire du romantisme anglais avant Byron et Walter Scott ; mais tous pourraient prendre pour préface la préface de M. Cross que je viens de citer ; tous reposent sur le même principe essentiel, qui consiste à considérer les genres littéraires comme ayant une vie propre, et comme « évoluant, » d’époque en époque, par une lente série de transformations. Peut-être seulement pourrait-on reprocher à ces critiques américains de trop simplifier la doctrine dont ils s’inspirent, — conduits, sans doute malgré eux, par le penchant naturel de leur race à tout simplifier : — et je crains, par exemple, que la loi d’action et de réaction, telle que la définit M. Cross, n’échoue à rendre compte d’une foule de changemens qui surviennent tous les jours dans les goûts du public, et qui ont pour conséquences, ou souvent pour causes, des changemens dans la marche des genres Littéraires. Certes, ainsi qu’il le dit, on ne peut guère espérer « que les matériaux de l’histoire littéraire puissent être traités avec la rigueur et la précision des sciences positives ; » mais la complexité même de ces matériaux n’impose-t-elle pas à l’historien le devoir de varier le plus possible l’appareil de ses formules, afin de pouvoir suivre, d’aussi près que possible, la mobile et capricieuse succession des faits ?

Aussi bien M. Cross, dans le cours de son étude, ne s’en tient-il pas à la seule loi de l’action et de la réaction. Il s’ingénie au contraire, avec un soin infini, à noter les circonstances particulières qui ont permis à chacun des grands romanciers de jouer un rôle distinct et

  1. Romances of Roguery, an Episode in the Development of the Novel, par Frank Wadleigh Chandler ; a History of literary criticism in the Renaissance, with special reference to the influence of Italy in the formation and development of modern Classicism, par Joël Elias Spingarn ; Spanish Literature in the England of the Tudors, a study of the growth of the peninsular influence North of the Channel, par John Garrett Underhill ; a History of English Romanticism in the eighteenth century, par Henry A. Beers ; etc.