Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 158.djvu/925

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Néanmoins, ce sont des internationaux. Ils ont les défauts comme les qualités du dilettantisme. S’ils s’adressent plus à l’imagination, ils vont moins droit au cœur ; pour nous émouvoir, un cri de joie ou de douleur humaine vaudra toujours mieux qu’une oraison académique. Une grisaille de Van Goyen, brossée naïvement, dans une barque, devant le quai et la tour de Dordrecht, est plus éloquente et plus rafraîchissante qu’une forêt décorative, avec groupes spirituels sur le premier plan. Cet excellent Hollandais a cinq tableaux au Louvre, tous bien hollandais, tous pris à peu près au même endroit, sur la Meuse, devant Dordrecht. Ce que c’est que de bien aimer les choses, de les aimer à fond, patiemment, pieusement ! Il y a des centaines de vues de Dordrecht, par Van Goyen, dispersées dans tous les cabinets du monde ; toutes présentent, pour un passant rapide, le même aspect, un aspect triste, terne, monochrome, plus ou moins grisâtre, jaunâtre ou verdâtre, suivant la période de sa vie ; mais que si ce passant est un artiste ou un poète, s’il aime la nature et la peinture, leur infinie variété et leurs délicatesses inexprimables, il s’arrête, contemple, admire, il reste ému et il remercie le vieil artiste de lui avoir montré tant de choses nouvelles là où il croyait trouver toujours la même. Les cinq tableaux du Louvre semblent, presque tous, faits à la même place. Au premier plan, les eaux de la Meuse, plus ou moins troublées ou limpides, traversées par des barques et des canots ; dans le lointain, la ville de Dordrecht, avec son clocher carré, tronqué, flanqué d’une flèche, sa grande église étalant sa masse rectangulaire au-dessus des maisons, parmi les tournoiemens des hauts moulins épars. Mais, suivant la saison, le jour et l’heure, voici que ce site familier prend une physionomie diverse, comme celle d’un homme dont le visage se plisse ou se déride au gré de ses impressions. Pour raconter cette diversité, le pinceau léger et rapide de Van Goyen trouve des délicatesses et des transparences d’une sensibilité unique.

De Salomon Ruysdael (1600-1670), l’élève probable de Van Goyen, nous ne possédons qu’une petite Vue de la Meuse, où leur parenté saute aux yeux ; ce n’est point assez pour donner la juste idée d’un maître si sincère et original, dont les leçons ne furent pas inutiles à son grand neveu, Jacob van Ruysdael (1628-1682). Pourquoi celui-ci est-il le plus grand paysagiste de l’école ? Parce qu’il en est à la fois, dans ses œuvres supérieures, le plus sincère