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Dow sut accommoder au goût timide de la société bourgeoise l’entente de l’effet lumineux en exagérant le rendu minutieux des accessoires assura à ses innombrables productions, toujours précieusement finies, les placemens les plus avantageux. Le Louvre ne possède pas moins de onze tableaux par Gérard Dow provenant de l’ancien fonds, et, parmi eux la Femme hydropique excite toujours l’étonnement des foules par l’extraordinaire patience de l’artiste à pousser jusqu’à l’extrême limite la sécheresse du trompe-l’œil dans la présentation détaillée des figures et des objets. Comment Dow ne perd-il pas tout à fait, à cet exercice périlleux, l’unité lumineuse et colorée ? C’est son secret, son mérite et son excuse. La Femme hydropique, du vivant de l’artiste, fut acquise par l’Électeur palatin au prix énorme de 30 000 florins. L’Épicière de village, en 1793, à la vente du duc de Praslin, fut vendue 34 850 livres, la Cuisinière, en 1780, à la vente Poulain, 10 700 livres. Il est vrai qu’à la même époque, le chef-d’œuvre de Rembrandt, les Pèlerins d’Emmaüs (1777, vente Randan du Boisset), atteignait difficilement le même chiffre, celui d’Adriaan Van Ostade, le Maître d’école, restait à 6 601 livres (1784, vente de Vaudreuil), celui de Pieter de Hooch, l’Intérieur hollandais (1777, vente Tolozan) était pris pour 680 francs ! Quant à Frans Hals, leur maître à tous, démodé, méprisé, oublié, il n’était même plus coté par les marchands et les connaisseurs !

Les vrais maîtres de Leyde dans le genre familier sont alors Jan Steen (1626-1679), Gabriel Metzu (1630-1667), Brekelenkam (1620-1668). Ceux-là sont des peintres, parlant un brave langage de peintre, saisissant toujours, dans la réalité, l’attitude expressive, la physionomie typique, l’éclairage significatif, le jeu, bien assorti et conforme au sujet, des belles colorations. Dans une ville de science, lettrés eux-mêmes, ils apportent souvent, dans leur façon d’observer, plus de finesse d’esprit qu’à Harlem, sans confondre pourtant l’esprit littéraire avec l’esprit pittoresque, ni tomber dans l’anecdote. Sous ce rapport, Jan Steen dont l’existence fut débraillée, qui tint des cabarets, où il trinquait avec le client, bon vivant, railleur, caustique, peu considéré de son temps, reste un type particulier, presque unique dans l’histoire de la peinture. Par son intelligence, franche et saine, du comique, par l’irrévérence avec laquelle il traite les médecins et les pédans, par le charme délicat et matin qu’il donne à ses jeunes filles, par son impudence naïve à nous conduire dans les mauvais lieux,