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pouvoir de premier ministre lui a donné le goût de diriger l’État.

M. le Duc étant laid, borgne et borné, il semble juste à Mme de Prie que les répugnances qu’elle éprouve auprès de lui soient payées par la pleine satisfaction de sa cupidité et de son orgueil. Le prince n’a rien à refuser à une maîtresse déclarée dont l’intelligence, lucide et ferme, le domine. Voilà comment, en ce moment du règne où le Roi, quoique légalement majeur, ne gouverne pas, c’est Mme de Prie qui tient la France.

Jamais peut-être les affaires nationales n’ont été confiées avec moins de contrôle à des mains plus indignes de les manier. La preuve n’est point faite que Mme de Prie ait reçu, pour servir l’Angleterre, la pension payée, dit-on, à Dubois, ni qu’elle ait mérité du cabinet de Londres d’aussi flatteuses marques de confiance. Mais, si les erreurs diplomatiques du moment peuvent s’expliquer par d’autres causes, les fautes intérieures qui ont rendu très vite impopulaire le gouvernement de M. le Duc sont justement imputables à sa conseillère. Elles portent surtout sur les mesures destinées à se procurer de l’argent. Un de ces trois frères Paris qui ont été les collaborateurs financiers du Régent, Paris-Duverney, a mis son activité hardie au service du nouveau régime et s’est tout dévoué à la favorite. Quand on a, sur l’avis de Duverney, diminué la valeur légale des monnaies et l’intérêt de l’argent, imposé du cinquantième tous les revenus, rétabli la vieille taxe féodale de joyeux avènement, le mécontentement public a pu voir avec raison en toutes ces fâcheuses mesures la main de Mme de Prie.

D’une liaison aussi avantageuse, la marquise compterait profiter longtemps encore, si elle n’était menacée par un projet de la duchesse de Bourbon. Celle-ci s’est mis en tête d’obliger son fils à se marier. Il est naturel que le petit-fils du vainqueur de Rocroi, qui n’a pas eu d’enfant d’une première union, assure par lui-même la transmission du nom des Condé. C’est la manière la plus sûre de balancer l’augmentation d’influence que procure son mariage au jeune duc d’Orléans.

C’est aussi, aux yeux de la mère, un moyen de délier son fils des liens peu honorables qui le retiennent. Mme de Prie ne l’entend point de cette façon, et, quand elle voit que cette idée trop raisonnable est entrée dans l’esprit de M. le Duc, elle s’avise du moins de mener les recherches elle-même et de trouver une épouse suivant ses convenances. Pour que la marquise garde, le