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deviennent, en nombre énorme, la gloire immortelle de leur pays : ce seront Brouwer, les Ostade, Jan Steen, Pieter de Hooghe, Ter Borch, Van der Meer, Paul Potter, les Van de Welde, Van Goyen, les Ruysdael, Hobbema, les Cuyp, etc. Désormais, parmi eux, il n’y aura plus un portraitiste, un peintre de genre, un paysagiste qui, en fixant sur le bois ou la toile ses impressions immédiates, n’y fasse œuvre de peintre c’est-à-dire, n’ajoute, aux qualités d’observateur, de dessinateur, de compositeur qu’il y peut mettre, qu’il y met presque toujours, l’accord harmonieux des ombres et des lumières, la mise en justes rapports des notes colorées, en un mot, cette unité expressive par le jeu savant des couleurs, vraie marque de l’œuvre complète et supérieure, qui fait d’abord d’un tableau, pour les yeux, une joie exquise et une poétique exaltation, comme le fait, pour l’oreille, la combinaison des sonorités dans une œuvre musicale. Sous ce rapport, l’école hollandaise naturaliste du XVIIe siècle reste la première des écoles, celle où les vrais peintres s’instruiront toujours. Presque tous ses chefs sont représentés au Louvre par des ouvrages dignes de leur réputation.

Vingt tableaux de Rembrandt nous permettent d’y suivre l’évolution rapide, soutenue, sans arrêts, de son génie. Lui-même s’y exhibe en quatre portraits, trois de sa jeunesse, un de sa vieillesse. Dans les trois premiers, l’un de 1633 (un an après la Leçon d’Anatomie), l’autre de 1634 (l’année de son mariage avec Saskia van Uylenburgh), l’autre de 1637 (l’année de l’Ange quittant la famille de Tobie), c’est le jeune homme, au visage ouvert, prêt à sourire, ardent et heureux, l’artiste salué par la gloire, le fiancé et l’époux caressés par l’amour. Il se plaît alors à se regarder, à se prendre pour sujet d’étude, à se parer comme il pare Saskia, d’abord, d’une chaîne d’or et de pierreries étincelant au-dessous de sa bonne tête nue, tout expansive, de ses cheveux moutonnans, roux et crépus, puis d’une grosse toque de velours noir entourée d’une chaînette d’or, drapé dans un manteau noir, et, par exception, ganté, sans doute pour quelque visite de fiançailles, enfin, la perle à l’oreille, avec un vêtement vert et doré plus riche encore, de longs cheveux sous la grande toque, et, derrière lui, comme les grands personnages, des architectures. C’est merveille de voir comme la richesse de l’exécution s’accroît avec la richesse de l’ajustement, comme, en quatre années, la main du peintre s’affermit et s’assouplit, combien sa matière,