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ménagère accomplie. Ce tableau, d’une tenue plus discrète, dans une gamme plus restreinte de colorations fermes, peint entre 1640 et 1650, indique, chez le peintre, quelques pas en avant vers cette extrême simplicité de moyens qui marque ses dernières années. Le Portrait de Descartes (1596-1650) est du même temps. On peut croire que notre Roger Bontemps n’avait guère approfondi le Discours sur la méthode. Il nous a pourtant donné, du grand philosophe, avec son air triste, méditatif, légèrement négligé et inculte, sous ses longs cheveux, une image bien vive et qui saisit par la gravité sombre dont elle est empreinte. Singulier et admirable artiste que celui dont l’œil curieux passe, avec cette désinvolture et cette familiarité, sans nul effort, des visages les plus nobles aux visages les plus naïfs ! Heureux musée que celui du Louvre où l’on voit, non loin du Portrait de Descartes, celui de la Bohémienne ! Ce buste de bonne gouge, débraillée et échevelée, le rire aux lèvres, le désir dans les yeux, la gorge prête à jaillir des rougeurs du corsage entre-bâillé, est, sans nul doute, une improvisation antérieure, une pochade du bon temps où Hals se faisait réprimander pour ses escapades par les magistrats d’Harlem. Mais quelle belle humeur, quelle liberté joyeuse et franche dans le coup de brosse, et comme on comprend les surprises des peintres sages, Mierevelt, Ravesteyn, Morelsee, devant ces éclats de verve chaude !


III

L’artiste incomparable qui devait, après Hals, avoir le plus d’influence sur l’art hollandais, Rembrandt van Ryn (1606-1669), n’avait qu’une dizaine d’années, lorsque son prédécesseur avait déjà affranchi le naturalisme indigène de toutes les entraves que lui imposait la tradition. Le génie de Rembrandt fut précoce et d’autant mieux accepté, dans ses premiers efforts, par quelques amateurs qu’il ne semblait point rompre avec les habitudes des maîtres antérieurs, notamment des italianisans, dont Rembrandt fut d’abord l’imitateur, dont il resta toujours l’admirateur. C’est en quoi il diffère essentiellement de Hals. C’est pourquoi aussi, malgré son immense supériorité technique, intellectuelle et morale, Rembrandt, dans son pays et dans son temps, apparut bientôt comme un phénomène exceptionnel ; qu’il n’y fut plus que peu et mal compris dès qu’il devint trop lui-même ; et que, malgré le