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enfantines qu’il trouve à d’aussi graves événemens. La conduite de Louis XIV dans les affaires de la Succession d’Espagne s’explique, suivant lui, par des causes multiples, les unes d’ordre général, les autres de nature intime[1]. Les causes d’ordre général, c’est d’abord l’avidité de la famille royale, « toute cette famille, de cupidité ignorante et de sotte gloire, qui mordit à la pomme d’or, » c’est ensuite les caresses exigeantes des enfans du Roi, « serf de la chair, de son instinct de bestialité paternelle. » Les causes intimes, c’est la jeunesse de la duchesse de Bourgogne et la vieillesse de Mme de Maintenon. Par sa jeunesse, la duchesse de Bourgogne avait séduit le Roi. « Purement savoyarde, dans cette affaire déjà elle entrevit pour sa sœur le plus grand mariage du monde, celui du roi d’Espagne. » Par le mot en apparence léger, en réalité profond, que nous avons rapporté : « Le Roi serait bien sot s’il refusait la couronne d’Espagne pour son petit-fils, » elle détermina l’acceptation. Il y avait bien cependant une chance pour que le Roi « repoussât le démon tentateur qui venait pour perdre son âme et mettre à ses pieds les royaumes de la terre. » C’était l’heure de l’épouse qui était opposée à l’acceptation. Elle essaya bien (Michelet est là-dessus admirablement renseigné : sans doute il y était), mais « l’épouse âgée, bien froide désormais, de peu d’ascendant sur les sens, pouvait-elle ce qu’à peine eût osé une jeune maîtresse ?… L’aveuglement sauvage du plaisir de la génération reste non moins sauvage dans l’amour furieux des pères pour leurs petits. Ils diraient : Périsse le monde, et Louis XIV accepta. »

Telles sont les pauvretés dont on encourage la jeunesse française à se nourrir en couvrant leur inventeur d’éloges dont l’hyperbole n’a d’égale que l’absence de sincérité, quand ce ne sont pas de purs littérateurs mais des auteurs graves, des professeurs qui s’en rendent coupables. On sait, en effet, de quel poids pèse aujourd’hui toute une partie de l’œuvre de Michelet dans la balance de ceux qui demandent à l’historien autre chose que le don de la vie, la métaphore brillante, la phrase ailée, et qui font quelque cas, nous ne dirons même pas de l’impartialité, si rare à trouver, mais de la vérité et de la conscience.

La chose devient plus grave quand ces mêmes accusations se retrouvent, sans métaphores ni phrase ailée, dans des ouvrages

  1. T. XIV de l’édition de 1874, p. 124 et suiv.