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encouragé par l’administration, fut fondé pour déverser l’injure et la calomnie sur la mission ; le Conseil général d’alors, qui, partisan en principe de la colonisation libre, n’approuvait pas tous les projets du gouverneur et les jugeait trop hâtifs ou mal adaptés à l’état réel du pays, fut deux fois dissous et enfin remplacé par une assemblée recommandable surtout par sa docilité. Chacun sait d’ailleurs ce que sont les élections dans les colonies et il est superflu d’insister. Il était moins facile de briser l’évêque que de changer la majorité dans une assemblée élue ; le gouverneur, cependant, n’y a rien épargné : tantôt en provoquant une inspection du « Père visiteur » en résidence à Sydney, tantôt en portant ses plaintes à Paris et jusqu’à Rome, il a tenté de faire partir Mgr Fraysse et même de remplacer les missionnaires, qui ne coûtent presque rien à la colonie, par un clergé séculier, qu’il lui faudrait subventionner. Les résultats de cet antagonisme ont été désastreux : l’île s’est trouvée partagée en deux camps ennemis, l’un soutenu par l’administration et vers lequel glissaient, comme par une pente naturelle, les faveurs dont elle dispose, l’autre traité avec d’autant moins de bienveillance qu’il ne ménageait pas ses critiques ; la partialité sembla devenir un système de gouvernement. On crut remarquer que le gouverneur, dans une de ses tournées aux îles Loyalty, se détournait des maisons des missionnaires et s’arrêtait de préférence chez les ministres ou chez les chefs protestans ; on raconta que, dans une tribu très sauvage du nord de la Grande-Terre, il avait laissé entendre au chef qu’il ferait bien de ne pas aller chez le missionnaire. Ces bruits étaient la suite naturelle de la politique de M. Feillet : il était notoire qu’il ne favorisait pas la mission et, tout naturellement, certains colons, fonctionnaires ou indigènes lui firent l’injure de croire qu’ils seraient mieux vus et mieux notés par lui en le dépassant dans son hostilité avérée contre l’évêque et les Pères. La guerre « anticléricale » devint en Calédonie ce qu’elle est dans certaines sous-préfectures ou dans certaines communes de France : une série de vexations, de mesquineries et de procès de tendances qui entretiennent l’esprit de haine et sèment le mécontentement.

Sur la Grande-Terre, les indigènes étaient tous païens ou catholiques, quand M. Feillet permit à des teachers protestans des îles Loyalty de venir en Calédonie et de s’installer à Houailou. Ces teachers sont des catéchistes indigènes, convertis par les pasteurs à une religion très simplifiée, et qui,. comme tous les indigènes