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le ministre des Colonies, s’appuyant sur cet arrêt, vient d’interdire de continuer en 1900 la levée de la capitation sur les indigènes et nous doutons que, malgré les protestations peu respectueuses du Conseil général et la leçon qu’il prétend donner au Conseil d’Etat et au ministre, en appelant « du ministre mal informé au ministre mieux informé, » la mesure soit rapportée. Le Conseil d’Etat et le ministre nous paraissent avoir sagement agi en éliminant cette cause de troubles et en préférant la justice et le repos de la colonie à un impôt qui serait vexatoire, peu productif, difficile à lever et qui risquerait de pousser à bout les Canaques.

Le gouverneur, dans son dernier discours, déclare les indigènes « capables de s’élever à une civilisation très supérieure à celle que nous avons trouvée chez eux quand nous les avons conquis » et il proclame que notre devoir est de les sauver ou, tout au moins, « de retarder leur disparition, qui amènerait une diminution de la valeur économique de la Calédonie. » On ne saurait mieux dire et il est à espérer que de promptes et énergiques mesures vont être prises pour enrayer le fléau de l’alcoolisme et pour faire rentrer le calme et la paix parmi les Canaques, qui pourront devenir, pour la colonisation agricole, des auxiliaires très précieux. Ce grand résultat, nous l’obtiendrons, non pas en imitant « l’exemple de nos ancêtres les barbares, » mais bien plutôt, selon la parole de Turgot, en cherchant d’abord à « gagner le cœur des Indiens[1]. »


VI

Calme et bleue au milieu du flot qui se brise sur sa ceinture de corail, la Nouvelle-Calédonie, à plusieurs milliers de lieues de la mère patrie et de ses agitations, ne devrait, semble-t-il, percevoir qu’un écho atténué de nos querelles politiques et religieuses. Il suffit de lire les journaux de l’île, de feuilleter les comptes rendus du Conseil général ou les discours même du gouverneur, pour éprouver la désillusion du voyageur de La Bruyère, entré dans la petite ville qui lui apparaissait si sereine et si riante du haut de la colline prochaine. La Nouvelle-Calédonie est déchirée par la bataille des partis, et les esprits sont d’autant plus intraitables qu’à des passions acclimatées de France se mêlent des

  1. Turgot, Mémoire à Louis XV (1764), cité par M. Marcel Dubois, Systèmes coloniaux et peuples colonisateurs (Plon, 1895), p. 270.