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moins et souvent même augmente ; le nombre des naissances semble y être plus grand, et des indigènes des tribus voisines viennent parfois s’agréger à ces communautés plus stables et plus pacifiques. Il serait de bonne politique de ne pas retarder, par des tracasseries administratives, la propagation civilisatrice du catholicisme parmi les Canaques.

L’on ne saurait nier que l’opération dite du « cantonnement » ait profondément troublé la vie et les habitudes des indigènes. En principe, il était parfaitement légitime, en présence de la diminution du nombre des anciens habitans, de reprendre aux tribus une partie des terres qu’elles occupaient et dont, en maints endroits, nous leur avons reconnu, par des traités, le droit de jouir ; mais l’exécution de cette mesure ne pouvait manquer d’être douloureuse pour ces peuplades primitives ; souvent il leur a fallu déplacer leurs cases, quitter les champs où, de temps immémorial, elles faisaient pousser les ignames et les taros, pour en prendre d’autres qui, même lorsqu’ils étaient aussi fertiles, n’étaient plus les mêmes ; un changement d’habitudes devient une révolution pour des sauvages chez qui les vieilles coutumes se transforment si aisément en rites. Une si délicate opération ne pouvait guère se passer sans violences, sans froissemens graves. Comment d’ailleurs éviter que certains agens n’outrepassent leurs instructions et que des injustices partielles ne soient commises ? Peut-être a-t-on trop oublié que l’indigène ne peut se plier brusquement aux procédés de la culture resserrée ; il a l’habitude de planter ses ignames très espacés et de ne revenir au même champ qu’après plusieurs années[1] ; une telle pratique exige des étendues relativement très grandes. Sans remonter aux fameuses affaires d’Ina, Tyéti et Poindimié, qui ont provoqué une interpellation de M. Isaac au Sénat et le voyage d’un inspecteur des colonies, il est certain que les indigènes ne sont pas toujours traités avec douceur, ni même avec justice. Comment s’en étonner quand on lit sur ce sujet des affirmations comme celles qu’émettait M. Jean Carol, au retour de son voyage quasi officiel en Calédonie : « Ces peuplades cruelles, sanguinaires, toujours en guerre entre elles, cannibales par surcroît, sans aucune aptitude à fonder quoi que ce soit qui ressemble à une société, inférieures sous ce rapport à certaines républiques d’animaux, n’ont jamais occupé

  1. M. Aug. Bernard (ouv. cité, p. 290) N donne le chiffre de sept ans, qui nous paraît exagéré : c’est en général trois ans.