Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 158.djvu/806

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sans distinction de personnes avec une inflexible rigueur, punit d’une amende de 2 000 francs tout homme surpris à vendre de l’alcool aux sauvages : le remède est efficace. Aux Tonga, où les missionnaires vivent presque seuls en contact avec les Canaques, la population augmente. Qu’a-t-on fait, au contraire, en Nouvelle-Calédonie ? Longtemps la vente de l’alcool y fut prohibée, mais des libérés couraient la brousse, vendant aux indigènes d’abominables liqueurs, et certains colons n’étaient pas plus scrupuleux ; la surveillance et la répression de ce trafic clandestin étaient presque impossibles. A Nouméa, la vente de l’alcool était devenue une industrie réservée aux cochers des voitures de place : le dimanche, les Canaques louaient une voiture, s’en allaient dans la campagne et le cocher, tirant de son coffre une bouteille, versait les rasades ; il va sans dire que la course coûtait cher aux malheureux indigènes. Malgré la facilité de frauder, les Canaques, cependant, ne pouvaient se procurer de l’alcool qu’assez rarement et à des prix qui ne leur permettaient pas toujours de satisfaire leur passion. Mais, il y a deux ans, le gouverneur et le Conseil général, jugeant toute interdiction inutile puisque inefficace, autorisèrent la libre vente des boissons spiritueuses ; des licences de distiller l’alcool et d’en faire commerce, octroyées aux colons, servirent parfois, au moment opportun, à leur faire attendre plus patiemment les bénéfices encore incertains de leurs cultures. — Aujourd’hui, le poison exerce librement ses ravages ; sur les organismes débilités des Canaques, il produit des effets effroyables ; et, en vérité, il est facile de s’expliquer qu’une race soit condamnée à disparaître « au contact de la civilisation, » quand on voit « la civilisation » apporter avec elle de pareils instrumens de mort.

Les Canaques sont certainement capables de progrès ; un certain nombre d’entre eux se sont déjà mis à cultiver avec succès le café ; comme marins, comme pêcheurs, comme courriers, ils peuvent être utilisés avec profit. Pour la culture, plusieurs colons, qui savent leur inspirer confiance, sont parvenus à tirer de leurs services un excellent parti ; on voit même de petites tribus, réduites à quelques familles, venir se réfugier dans un coin d’une concession et, si le colon sait leur faciliter une vie conforme à leurs habitudes, accepter facilement de travailler pour lui. Un tiers environ des indigènes sont catholiques, et il est remarquable que la population, dans les villages convertis, diminue beaucoup