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pas à se replacer d’aplomb. Au moindre incident, une terreur les appréhendait. Un galop de cavalerie autour du Palais-Bourbon, un train d’artillerie roulant sur le pavé, un déplacement anormal d’une partie de leur garde, les mettait dans les transes. Il leur semblait que, de façon permanente, une menace d’exécution militaire pesât sur eux ; une forte impression leur était restée de cette séance du 28 fructidor, où ils avaient senti comme un avant-goût de brumaire.

En réalité, le péril n’était instant ni pour l’un ni pour l’autre pouvoir. Les Jacobins n’auraient pas réussi à opérer un coup de main et à s’emparer du Luxembourg, puisque le peuple était contre eux ou du moins n’était plus avec eux. La majorité des directeurs était tout aussi incapable de faire un coup d’État, car elle n’avait pas l’homme qu’il aurait fallu pour entraîner les troupes et forcer le Palais-Bourbon. Les deux pouvoirs se renvoyaient néanmoins la terreur ; ils avaient peur, horriblement peur, toujours peur, parce qu’ils avaient conscience de leur propre faiblesse, parce qu’ils se savaient perdus dans l’opinion et dépourvus de toute base solide. Et tandis que se poursuivait cette lutte de deux impuissances, ce combat de deux ombres, le malaise général croissait dans des proportions effrayantes. A l’heure où la poussée jacobine semblait momentanément enrayée, les effets matériels et économiques s’en faisaient universellement sentir ; les lois surprises par les violens au lendemain du 30 prairial et ensuite par intermittences, loi de l’impôt progressif, loi des otages, portaient leurs fruits, s’ajoutaient aux dures nécessités de la défense nationale pour torturer le pays. Les intérêts tombaient partout en détresse, et la France connut alors d’extrêmes misères.


ALBERT VANDAL.