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au vœu manifesté par lui de rentrer en activité de service.

Furieux, Bernadotte se vengea par une lettre mordante qu’il destinait à la publicité : « Vous acceptez, disait-il, citoyens directeurs, une démission que je n’ai pas donnée. » Il n’en était pas moins hors du pouvoir, Milet-Mureau s’étant rendu aussitôt à la « maison de la guerre » et ayant pris le service. Tout cela s’était fait en quelques heures, le matin du 28 fructidor, et n’allait s’ébruiter que dans la journée, alors que les Cinq-Cents auraient repris leur débat. Gohier et Moulins feraient alors à Bernadotte une cérémonieuse visite de condoléance, en grand costume et avec leur garde d’honneur ; ce lui serait une piètre consolation. Débarrassés de ce personnage inquiétant, les trois autres directeurs n’eurent plus à craindre d’être assaillis et sabrés par derrière, tandis que leurs amis dans le conseil des Cinq-Cents affronteraient la redoutable séance prévue.

De leur côté, les Jacobins n’avaient pas perdu leur temps ; afin de peser sur l’assemblée et d’emporter le vote, ils s’étaient mis en devoir d’organiser autour du Palais-Bourbon un grand attroupement populaire. Des émissaires parcoururent les faubourgs, tenant des discours véhémens, mais le peuple resta sourd à ces appels. Jamais il ne montra mieux par son opposition inerte, par sa résistance passive aux tentatives faites pour l’entraîner, à quel point il était devenu incapable de descendre dans la rue. Au lieu d’une armée, les Jacobins n’arrivèrent qu’à rassembler une bande, huit à neuf cents hommes environ, qui firent autant de bruit que plusieurs milliers. Répartis sur la place de la Concorde, le pont, les quais, des groupes déguenillés vociféraient, parlaient d’exterminer les députés récalcitrans, hurlaient le meurtre ; d’affreuses mégères réclamaient des fourches. Heureusement Fouché et Lefebvre, le nouveau commandant de Paris, avaient pris de sérieuses précautions ; les abords du palais étaient militairement gardés.

A l’intérieur, la discussion avait repris, dans une atmosphère embrasée de passions et de haines. Après plusieurs discours prononcés d’une voix encore « enrouée de la veille, » après des incidens et des interruptions sans nombre, on proposa de repousser la motion de Jourdan par la question préalable. A la suite de deux votes par assis et levé, cette solution paraissait l’emporter, mais des députés protestaient, déclaraient l’épreuve douteuse, demandaient à grands cris l’appel nominal.