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cette proscription rétrospective, le Directoire dirigea ses foudres contre la presse actuelle, en essayant de rattacher les attaques jacobines à la conspiration ourdie contre la république.

Il dit dans un message aux conseils : « Il n’est pas possible de se le dissimuler ; une vaste et atroce conjuration existe contre la république... Que les conjurés riaient pas encore l’insolente audace de demander des témoins, d’exiger des preuves, de défier de produire des pièces à conviction... Les témoins, ce sont les cadavres des républicains égorgés au midi, massacrés à l’ouest, menacés de tous les côtés. Les preuves, ce sont les insurrections qui éclatent dans un département lorsqu’elles sont à peine étouffées dans un autre. Les pièces à conviction, ce sont les imprimés mensongers, les journaux incendiaires, les libelles exécrables dont on inonde la république. Les écrivains audacieux se divisent toujours en deux bandes, dont les suggestions, les conspirations produisent les mêmes effets ; ils marchent séparés, mais ils se rejoignent à un point désigné ; ils suivent deux routes opposées, mais le tombeau de la constitution est le lieu de leur commun rendez-vous. » Comme conclusion à cet impudent pathos, le Directoire notifiait un arrêté par lequel il avait ordonné au ministre de la police, en vertu de l’article 145 , de saisir onze journaux, dont celui des Hommes libres, et de s’assurer des propriétaires et rédacteurs.

En fait, la police se contenta d’apposer les scellés sur les presses et de fermer les bureaux de rédaction ; aucun journaliste ne fut arrêté et traduit en justice, le Directoire ne se sentant pas assez sûr de son droit pour affronter le jury. Le Journal des Hommes libres reparut immédiatement sous un autre titre et devint l’Ennemi des oppresseurs de tous les temps. Néanmoins l’annonce de l’hécatombe suscita dans le conseil des Cinq-Cents les fureurs jacobines ; un tumulte inouï se déchaîna.

Dans la mesure prise, les députés jacobins virent le début des illégalités, une tentative plus prononcée contre leur parti et les institutions populaires. Leur crainte de Siéyès, leur défiance à son endroit s’accrurent ; aujourd’hui que la république s’affaissait sous le poids des désastres, Siéyès n’allait-il point se démasquer, changer violemment la constitution à l’aide de quelque « épauletier, » puis s’aboucher avec l’étranger par l’intermédiaire de la Prusse et tramer une paix qui obligerait la France, pour désarmer la coalition, de se prêter à une louche combinaison monarchique,