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en Égypte. L’expédition avait été surtout sa pensée personnelle, son fait. Il l’avait voulue pour réaliser à son profit le vœu suprême des Français, en obligeant à la paix l’Angleterre menacée dans son empire des Indes ; il l’avait voulue aussi parce qu’il allait d’instinct aux positions culminantes, parce qu’il avait subi la tentation de l’Orient, l’attirance des vastes horizons de lumière et des espaces illimités, où les conquérans opèrent en grand, se taillent à coups d’épée de monstrueux empires et prolongent à l’infini leurs libres chevauchées ; il l’avait voulue enfin pour ne point s’user trop tôt dans la politique et laisser au Directoire le temps de se déconsidérer entièrement, afin de devenir lui-même le seul espoir, le refuge des Français. Il pourrait ainsi, selon les cas, refaire Alexandre en Orient ou César en Occident. Son entreprise d’Égypte est l’un des actes qui lui appartiennent le plus complètement et le révèlent sous son double aspect, profond calculateur et grand imaginatif.

Depuis que la guerre avait repris en Europe et mal tourné pour nous, les gouvernans désiraient à la fois et appréhendaient son retour. Après nos premiers revers, l’ancien Directoire avait essayé d’une grande combinaison navale pour le retirer d’Égypte et le ramener en France ; ce projet comportait la jonction des flottes française et espagnole dans la Méditerranée ; la défaillance de l’Espagne l’avait rompu dès le début. Le nouveau Directoire, tant qu’il avait cru au succès de Joubert, ne s’était pas décidé à faire du côté de l’Égypte le signal de détresse. Après Novi, l’urgence du péril ne permit plus de balancer ; mieux valait encore Bonaparte que Souvorof. Il fut arrêté, sur l’initiative de Talleyrand, que notre diplomatie tâcherait de négocier avec la Porte le retour du général et du corps expéditionnaire, au besoin sur vaisseaux anglais, contre la restitution de l’Égypte. On espérait ainsi avoir Bonaparte pour le printemps prochain ; revenant par capitulation véritable, il devrait sans doute souscrire l’engagement de ne plus porter les armes contre nos ennemis dans la guerre présente, mais au moins serait-il là pour comprimer les factions, ressusciter l’énergie nationale et réorganiser la victoire.

Le plan de la négociation, qui devait s’amorcer par l’intermédiaire de l’Espagne, fut adopté le 24 fructidor-10 septembre ; huit jours après, le ministre des relations extérieures, Reinhardt, reçut ordre de tenter toutes voies pour communiquer directement avec Bonaparte ; il lui écrirait de revenir avec ses troupes,