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était traîné de Briançon à Gap, à Grenoble, à Valence, et partout où passait le triste convoi, ce supplice d’un vieillard faible, portant un titre auguste, indignait les consciences catholiques ; contre ses tourmenteurs, des trésors de haine s’amassaient dans le cœur du peuple. A Paris, la vigilance des autorités s’exerçait à molester les croyans, à imposer le chômage du décadi et le travail du dimanche, à interdire toute manifestation extérieure du culte, à empêcher qu’on ne plaçât une croix sur un cercueil exposé à la porte d’une maison. Au même moment, soixante colporteurs arrêtés pour avoir crié dans Paris des libelles pleins d’injures contre le gouvernement, étaient relaxés faute d’une loi permettant de les punir ; ainsi achevait de se caractériser un régime qui unissait les extrêmes de la tyrannie et de la licence.


IV

Le seul homme du Directoire qui eût de la capacité et un plan d’avenir, Siéyès, suivait anxieusement les premières opérations de Joubert au delà des Alpes. Il avait les yeux fixés sur ce sabre qui luisait à l’horizon et d’où pouvait venir le salut. Joubert était arrivé le 17 thermidor-4 août à l’armée d’Italie. Il la poussa tout de suite en avant, sachant Souvorof à proximité, mais s’imaginant : que le siège de Mantoue retenait encore au loin une partie des troupes autrichiennes, auxiliaires des Russes. Or, Mantoue avait capitulé depuis cinq jours ; les Autrichiens accouraient à marches forcées ; notre armée allait se heurter à une redoutable concentration de forces. Le 25 thermidor, elle prit contact avec l’ennemi ; le 28-15 août, une affaire générale s’engagea, près de Novi. Dès le début de l’action, Joubert s’exposa comme un grenadier ; il ramenait au feu une colonne qu’il avait vue faiblir, quand une balle lui traversa la poitrine ; il mourut avant midi. Pendant douze heures, nos troupes tinrent sur leurs positions, avec une vaillance admirable ; vers le soir, les Autrichiens ayant tourné et accablé notre gauche, l’armée recula en désordre, perdant son artillerie, plusieurs généraux et beaucoup de prisonniers. Moreau la ramena derrière l’Apennin et ne put que couvrir Gênes, laissant à l’ennemi toute l’Italie, sauf l’étroite lisière dont se compose la Ligurie. Quelque indifférens que fussent devenus beaucoup de Français à la gloire du pays, la mort de Joubert, la perte de la bataille répandirent la consternation. Les pouvoirs