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lecteurs du Journal des Hommes libres et lecteurs de l’Ami des Lois, la feuille de Poultier, aussi grossièrement injurieuse dans le sens inverse. La foule voulut faire un mauvais parti aux premiers ; les conscrits appelés sous les drapeaux retournaient contre les Jacobins les paroles qui avaient servi de mot d’ordre aux massacres de septembre : « Nous ne voulons pas, disaient-ils, en partant pour l’armée, laisser nos parens sous le fer révolutionnaire. » Amiens devint le théâtre de troubles sérieux ; les clubistes, soutenus par la municipalité, eurent affaire à de jeunes bourgeois, à des manifestans imberbes, à des groupes de femmes et d’enfans, à des ouvriers même. A Bordeaux, l’affichage d’un placard émanant de la secte mit la ville en effervescence ; la troupe tira sur les groupes ; il y eut un mort et des blessés. Et le public impartial, cherchant à qui s’en prendre de ces secousses, n’arrivait nulle part à savoir, au travers de témoignages contraires, qui avait donné le signal des voies de fait, qui avait commencé.

A la poussée jacobine répondait partout une poussée royaliste, favorisée en outre par les revers de nos armées. Comme tout le monde avait l’impression d’assister à l’écroulement d’un régime, à l’agonie d’un système, les royalistes s’imaginaient que la Révolution périssait avec le Directoire. Après dix ans de faux espoirs, de mécomptes et de désastreuses épreuves, ils croyaient que l’avenir se rouvrait enfin devant eux ; en aucun temps ils ne s’étaient sentis si rapprochés du but, conséquemment si portés à entreprendre : encore un effort, se disaient-ils, un suprême et universel effort, et la France serait reconquise à son roi. C’était au moins l’opinion des jeunes, des impatiens et des désespérés, car la masse du parti, au dedans comme à l’extérieur, se ressentait de l’affaissement général. Dix ans de révolution avaient brisé les caractères, avachi les âmes. Au moment où la peur du jacobinisme rapprochait d’eux la France, les royalistes se trouvaient avoir perdu en vigueur intime ce qu’ils regagnaient dans l’opinion ; la force de leur parti ne répondait pas à sa chance.

Ils s’étaient décidés pourtant à une prise d’armes générale. Leur projet était d’enlacer les parties centrales de la France, les plus calmes et les moins détachées de la République, dans un réseau, dans un immense filet d’insurrections, qui aurait l’un de ses points d’attache dans l’Ouest, à proximité des flottes anglaises, l’autre à Lyon ou en Franche-Comté, non loin des armées coalisées, et qui, s’incurvant au centre, s’appuierait sur la Provence,