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Fouché ou le subit. Un arrêté du Directoire le nomma ministre de la Police générale.

Fouché n’était pas un révolutionnaire bourgeois à la façon de Siéyès et de ses amis ; lui aussi, voulait conserver les hommes de la Révolution, mais surtout ceux d’en bas. Ses forfaits d’autrefois, son humeur, son tempérament, la crudité ordurière de ses propos, bien qu’il fût cynique plutôt que vulgaire, le rattachaient aux pires Jacobins ; seulement, il sentait que les Jacobins d’aujourd’hui, en voulant rejeter la république dans l’anarchie pure, se mettaient en opposition avec les nécessités de l’époque, avec la volonté publique, et conduisaient fatalement à une catastrophe. Cette faction n’était plus à ses yeux qu’un anachronisme. Il aspirait à constituer un gouvernement fort avec des élémens démagogiques, pétris et façonnés de sa main.

De plus, les gens du Manège fulminaient contre toutes les variétés de dilapidateurs. Or, Fouché, au sortir de la Convention, avait traîné sa misère dans les bas-fonds du monde des affaires ; après avoir, s’il faut en croire Barras, tenté la fortune dans une entreprise pour l’engraissement des porcs, fait de la police officieuse, réclamé du gouvernement une toute petite place, une « placette, » pour ne pas mourir de faim et faire vivre les siens, — car il était homme de famille et excellent mari d’une défroquée, — il s’était associé à de louches marchés passés avec l’Etat ; il ne voulait donc pas que l’on regardât de trop près aux comptes des fournisseurs. Par tous ces motifs, il n’hésiterait pas à frapper les clubistes, quitte à se les rallier ensuite, à les mettre au pas et à en former sa garde ministérielle.

Il ne se fit pas prier pour revenir de la Haye et s’installer au ministère ; on l’eut au bout de quatre jours. Dès ses premiers contacts avec les directeurs, l’homme à la face d’une pâleur extraordinaire, aux yeux bordés de rouge, plus immobiles que des yeux de verre, se révéla une force. Il manifestait un cynisme imperturbable et une audace tranquille ; avec cela, des côtés d’ironiste à froid et de mystificateur. On lui demande des mesures contre les Jacobins ; il les promet. Le lendemain, il apporte un projet d’arrêté assimilant aux émigrés, c’est-à-dire condamnant à mort les députés fructidorisés qui se laisseraient prendre après avoir échappé à la déportation par la fuite ; avant tout, il a voulu se mettre en règle avec les purs et attester l’inviolabilité de ses principes. On s’étonne : ce n’est pas cela qu’on lui demande ; à quand