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et aux distractions qui en résultent au cours d’un pareil débat, on fait passer un grand nombre de propositions qui, dans un parlement dont la méthode de travail serait mieux réglée feraient tout d’abord l’objet d’une loi spéciale. Et grâce à ce procédé commode, on a augmenté, sans y regarder de plus près, des quantités considérables de traitemens, de pensions et de salaires. Le budget est menacé de fléchir sous leur poids accumulé !

Pour les députés, il y a là le plus souvent une question de popularité, c’est-à-dire une question électorale. Les fonctionnaires dont il s’agit d’augmenter le traitement sont presque toujours dignes d’intérêt ; de plus ils sont nombreux et influens. C’est mettre une Chambre à une épreuve à laquelle elle ne résiste guère que de lui proposer des crédits de ce genre. Les assemblées ne sont pas héroïques. M. Thiers disait autrefois, qu’un ministre des Finances devait être féroce, mais en a-t-il jamais rencontré un seul qui le fût suffisamment à son gré ? Si le ministre des Finances vraiment féroce est un être presque introuvable, malgré la responsabilité personnelle qui s’attache à lui, le simple député doué de cette qualité l’est encore bien plus. Que l’on fasse le total des augmentations de dépenses qui ont été votées dans une période de dix ans par exemple ; on s’apercevra tout de suite qu’elles sont dues, pour la plupart, à l’initiative individuelle. Le gouvernement y résiste quelquefois, mais en vain. Étrange renversement des rôles ! Quelle est l’origine des parlemens et pourquoi ont-ils été inventés, sinon pour discuter et pour rogner les impôts que les rois se proposaient de prélever sur les contribuables ? Aujourd’hui, c’est le parlement qui trouve que le gouvernement ne dépense pas assez, et qui lui impose tel et tel crédit, dont il déclare pouvoir se passer. Cette situation paradoxale en apparence s’explique par un fait, à savoir que, depuis assez longtemps déjà, le souverain véritable, c’est le parlement. Il accapare et il exerce tous les pouvoirs. Le gouvernement n’est plus à côté de lui qu’un intendant, un trésorier, souvent importun, qui le conseille, l’avertit, s’efforce de le retenir dans la voie du gaspillage. Mais le parlement écoute mal ces remontrances, et il s’en affranchit à la manière d’un fils de famille qui se sent riche, qui croit même l’être plus qu’il ne l’est réellement, compte sur des héritages nombreux, et dépense sans regarder. Le mal augmente dans les pays démocratiques, car on a dit avec raison que ces gouvernemens n’étaient pas à bon marché : chacun croit y avoir un droit individuel sur la fortune de tous, et prétend bien l’exercer. Il y a eu, chez nous, des années où la discussion du budget a ressemblé à un véritable pillage. Ce