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sur le petit chapeau est l’exemple le plus frappant de cette sorte de tirade qui ne choisit pas et qui sévit où elle veut. L’auteur de la Samaritaine nous montrait jadis Jésus s’amusant à décrire en des vers délicieux l’anse que fait sur le ciel le bras des femmes à la fontaine ; et celui de l’Aiglon nous montre les victoires de Napoléon qui dégringolent du haut d’un ciel de lit et s’accrochent aux glands des rideaux. Dans tant de mots et dans tant d’images, il n’est pas possible que tout soit de même valeur et qu’il ne se glisse trop de romances sur des airs connus. Cela barre la route à l’émotion.

M. Rostand a beaucoup d’esprit. Raison de plus pour qu’il soit sévère sur la qualité de cet esprit ! Il y a tout un ordre de facéties qu’il ne devrait pas se permettre. On peut soutenir que le rôle de Flambeau dit Flambard est le mieux venu de la pièce et le seul même qui se tienne ; j’avoue que ce rôle m’afflige. Flambeau montant la garde à Schœnbrunn en uniforme de la garde impériale, Flambeau sortant d’une cachette souterraine, la pipe à la bouche, ce sont des bouffonneries énormes et médiocrement gaies.

C’est ainsi de lui-même et des moyens qui jusqu’ici avaient fait son succès que M. Rostand doit se garder. Il possède un don redoutable : tout ce qu’il touche se convertit en vers faciles. Certains improvisateurs méridionaux peuvent habiller tout sujet d’une poésie qui fait d’abord illusion. M. Rostand n’est pas l’un d’eux, mais il faut qu’il songe à eux avec une espèce d’horreur. Jusqu’ici, il s’est abandonné à l’ivresse heureuse de son jeune talent, il s’est laissé aller à la griserie des mots, il s’est amusé aux effets de scène, aux jongleries de style et de versification, et l’art a été pour lui un jeu. Il a pris pour ses maîtres Scribe et Banville. Ce sont des maîtres dangereux. Le moment est venu pour M. Rostand d’échapper à leur influence et de renoncer à des procédés dont la tyrannie compromettrait l’œuvre que nous devrons attendre de sa maturité. Tableaux pittoresques, scènes joliment filées, mots spirituels, enfilade d’images claires et frêles, c’est l’extérieur du théâtre et de la poésie. Il ne faut pas que M. Rostand devienne le prisonnier de cette manière tout artificielle. Il ne faut pas qu’il se rende lui-même incapable de nous donner un théâtre où il y ait plus d’âme, plus de pensée, plus de vie intérieure, un accent plus personnel. Il a tout juste un peu plus de trente ans : avec l’expérience qu’apporte la vie, un jour peut venir où il aura quelque chose à nous dire. Il faut qu’alors il soit en mesure de le dire avec vigueur, avec sobriété, avec originalité. Voilà pourquoi nous souhaitons qu’il ne compromette pas, en versant du côté où il penche, les ressources dont il est si abondamment