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faits pour être lus, mais pour être entendus, sont vraiment des vers de théâtre, avec la dose exacte de lyrisme que comporte la scène. De sa veine facile, comme d’une source claire et pure, les images souriantes coulent intarissablement. C’est un poète. Nous n’en avons pas tant. On lui reproche de n’avoir pas apporté une prosodie nouvelle et d’écrire trop dans la langue de tout le monde. Il écrit en français. C’est un mérite, et devenu si rare aujourd’hui, qu’il peut bien tenir lieu d’originalité et qu’il distingue suffisamment M. Rostand de la plupart des écrivains de sa génération. Toutes ces raisons font qu’il ne m’est guère possible de parler d’une œuvre de M. Rostand sans complaisance. Certes les meilleures de ses qualités semblent peu appropriées au sujet qu’il s’est choisi cette fois. Mais c’est donc qu’il a essayé de se renouveler ; il faut lui tenir compte de cet effort.

C’est pour ce qu’elle a d’énigmatique que la figure du duc de Reichstadt pouvait tenter un poète. Que se passa-t-il dans l’âme obscure et vague de ce jeune homme, mort trop tôt pour avoir pris une conscience nette de lui-même et démêlé les aspirations confuses qui peut-être se pressaient en lui ? Ce prince français, transplanté tout enfant dans une cour étrangère, eut-il la nostalgie de la terre natale ? Le « fils de l’homme » connut-il la souffrance de plier sous un héritage de gloire trop lourd ? Eut-il des rêves d’ambition et fut-il, au réveil, étreint par le sentiment de son impuissance ? Les historiens ont étudié la question avec minutie : le résultat de leurs savantes recherches a été que les témoignages sont contradictoires et la conclusion douteuse. Napoléon II reste donc un prince de légende, entrevu à travers la mélancolie de l’exil et la tristesse des existences inutiles. Le poète est libre d’interpréter à son gré le mystère de cette destinée. L’interprétation que nous donne M. Rostand est des plus séduisantes. Elle consiste à nous montrer le duc de Reichstadt atteint de ce mal du siècle dont souffrirent les jeunes hommes de sa génération. N’est-il pas l’un d’eux, en effet, et n’est-ce pas sur lui qu’ont dû tout particulièrement agir quelques-unes des causes par lesquelles on explique leur mélancolie vague et leur vaine rêverie ? Venus au lendemain d’une période de transformation violente et de bouleversement social, ils portaient en eux ce germe maladif, cette faiblesse que laissent après elles les grandes crises. Élevés dans le tumulte des batailles, ils se sentaient mal à l’aise dans une société pacifique dont le cadre emprisonnait leur imagination avide d’espace. Tout éblouis encore par les mirages dont s’était enchantée leur enfance, ils épanchaient l’amertume de leurs regrets en effusions sentimentales. Ils étaient impétueux et alanguis,