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sensations de picotement, l’œil par des lueurs et l’oreille par des sons. »

C’est là ce qui constitue la loi des énergies spécifiques des sens. Elle a, on le voit, un fondement expérimental.

Les physiologistes ont donc admis, comme une vérité d’expérience, que la sensation est un état de conscience, qu’elle ne traduit pas une qualité ou un état des corps extérieurs, mais un état du cerveau variable avec le lieu d’où part la stimulation et celui où elle arrive. La sensation n’est pas l’image de l’objet qui la provoque, mais le signe des actions que cet objet exerce sur le cerveau.

Les philosophes sont parvenus d’une autre manière à cette vérité, adoptée, consacrée, et passée maintenant dans l’enseignement classique.

Il existe cependant quelques dissidences. Nous n’avons pas à dire si les argumens philosophiques présentés contre la doctrine régnante par MM. Jaurès, Bergson et Mélinand sont péremptoires. Mais il nous sera bien permis de contester les critiques élevées contre l’argument scientifique. Celles de Lotze ne seraient pas différentes si elles venaient d’un homme tout à fait ignorant en physiologie. Celles de Wundt contre le principe des énergies spécifiques sont indirectes. La plupart des autres ont leur source dans une confusion qui s’est établie dans l’esprit de leurs auteurs entre les propriétés, en réalité différentes, des trois organes qui prennent part à la sensation : l’organe des sens, le nerf, l’écorce cérébrale. Le nerf n’a certainement pas d’énergie spécifique, et les physiologistes ne lui en accordent pas, puisqu’ils lui attribuent au contraire la seule propriété de transporter, sans lui imprimer la moindre modification, un agent nerveux toujours et partout identique. Quant à l’idée que l’excitant électrique, que l’on emploie pour exciter les nerfs, pourrait contenir des rayons lumineux rouges, et que le nerf pourrait choisir dans ce mélange l’excitant qui lui convient, c’est une supposition inintelligible à la fois pour un physicien et pour un physiologiste.


VI

La stimulation fournie par le monde extérieur et qui devient le point de départ de toute action nerveuse n’est donc, en définitive, en dépit de la diversité des noms que nous lui donnons,