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la solidarité universelle, et, par conséquent, l’unité de l’organisme. La fédération cellulaire prend le caractère d’une individualité unique, en proportion du développement de cette centralisation nerveuse. Avec un système nerveux idéalement parfait, la corrélation des parties atteindrait aussi sa perfection. Il serait alors permis de dire, conformément à la loi de corrélation de Cuvier, transportée cette fois du terrain an atomique sur le terrain physiologique, que l’être vivant forme un tout complet, dans lequel les diverses parties sont tellement liées qu’aucune d’elles « ne peut éprouver de changement sans que toutes les autres changent aussi. » Cuvier avait au plus haut degré le sentiment de l’ordre et de l’unité nécessaires à l’association organique. Son principe des conditions d’existence n’est autre chose que l’exagération de ce sentiment. En affirmant que chaque animal possède tout ce qu’il lui faut, et rien que ce qu’il lui faut, pour assurer son existence dans les conditions où elle doit s’écouler, l’illustre naturaliste transportait dans la réalité le cas idéal que nous venons d’imaginer, d’une liaison rigoureuse des parties de l’organisme. Cette tendance devait nécessairement le conduire à accorder au système nerveux une importance exceptionnelle et excessive. Il a été, en effet, jusqu’à dire : « Le système nerveux est, au fond, tout l’animal ; les autres systèmes ne sont là que pour l’entretenir et le servir. » Et l’on sait que sa division du Règne Animal en quatre embranchemens est précisément fondée sur les quatre formes du système nerveux.

Mais cette solidarité extrême des parties de l’économie vivante n’est réalisée chez aucun animal. C’est un rêve de philosophe. C’est celui de Kant par lequel l’organisme parfait serait : « un système téléologique, un système de fins et de moyens réciproques, un ensemble de parties existant pour et par les autres, pour et par le tout. » Un édifice si complètement lié ne serait probablement pas viable. En fait, les organismes vivans présentent un peu plus de liberté dans le jeu de leurs parties : leur appareil nerveux n’atteint heureusement pas cette perfection rêvée ; leur unité n’est pas si rigoureuse. La notion « d’individualité, » d’existence individuelle, n’est donc pas absolue. Elle est relative ; elle offre tous les degrés. Le développement du système nerveux en donne la mesure.

Des deux fonctions du système nerveux, celle qui consiste à