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et sera la chose de quelques privilégiés. Elle s’appliquera surtout sur des toilettes d’apparat. Mais, pour de telles toilettes, il faut des personnes de qualité, tenues à une certaine représentation ; il faut aussi que les occasions de paraître et de se distinguer soient fréquentes ; il faut un cérémonial, un ordre de préséances, des fêtes officielles où la femme apporte le concours de sa grâce et de sa beauté. Et il est évident qu’une monarchie se prête naturellement à de telles manifestations, avec une cour où les rivalités féminines se mènent surtout sur le terrain de l’élégance, avec une souveraine toute désignée pour prendre en main le sceptre du bon ton et le gouvernement de la mode.

C’est ce qui advint, sous le second Empire, où les habitudes mondaines et le grand genre de la Cour relevèrent d’une façon si notable le caractère luxueux de la toilette. La mode était alors dirigée en grande partie par l’Impératrice. On sait le goût particulier de cette souveraine pour la dentelle ; elle en portait, — et de magnifiques, — comme cette jupe en point d’Alençon, payée 75 000 francs, qu’elle mit, en 1855, pour la distribution des récompenses aux exposans. Ce goût de la souveraine fut partagé par son entourage et se répandit ensuite dans les classes aisées de la société ; la vogue des belles dentelles fut considérable et cette industrie eut alors une prospérité inoubliable, tant est grande l’influence que peuvent avoir sur la marche générale des affaires l’état et les mœurs du pouvoir.

Tout cela, le peuple de nos campagnes le sent très vivement, et il en donne parfois des témoignages assez amusans. C’est ainsi qu’à Basly, l’un des anciens centres dentelliers du Calvados, en 1894, au moment de l’élection de M. Casimir-Perier, les vieux du village, se souvenant vaguement qu’un Casimir Perier « avait approché le roi, » en conclurent que les mœurs de la monarchie allaient reparaître, qu’on aurait une cour, que la dentelle allait reprendre ! Et les bonnes femmes du pays firent dire des messes aux intentions du nouveau Président de la République !

Dans une démocratie, au contraire, le bon ton et la distinction ont plus de mal à se maintenir, car la direction donnée à la mode est très différente. Elle ne part plus d’en haut, et nous demandons autre chose à ceux qui remplissent les grandes fonctions de l’Etat. Ils n’ont pas le loisir de gouverner la mode ; des soins plus démocratiques les réclament et les fêtes même que donne le pouvoir sont peu faites pour favoriser les manifestations