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premières ouvertures auprès de Boniface VIII pour obtenir que son fils fût admis parmi les bienheureux, et Robert n’avait-il pas en une fois payé 400 florins d’or à un franciscain, son chapelain, pour l’expédition de l’enquête relative aux miracles de son frère ?

Pour comprendre l’importance que la famille royale de Naples attachait au droit de nommer un saint parmi ses membres, il est utile de se rappeler quelle dynastie la Maison d’Anjou avait supplantée et à quelles dynasties elle s’était rattachée. C’est au nom de l’Église que Charles Ier était entré en Italie pour combattre Manfred, le fils de celui que les papes appelaient l’Antéchrist. C’est la race infidèle que le frère de saint Louis avait exterminée dans une lutte biblique, en faisant tomber après sa dernière victoire la tête de Conradin. Mais le nouveau roi de Sicile, une fois en possession de son royaume, avait été comme hanté par le souvenir toujours puissant du grand Empereur, dont il avait fait périr le fils et le petit-fils, et il avait d’abord imité Frédéric II, dans ses résidences, dans ses chasses, dans sa cour, encore pleine d’Arabes et de Juifs, jusque dans ses monnaies d’or, copiées sur les « augustales. » C’est Charles II qui, le premier, donna à la cour angevine, désormais fixée à Naples, ce ton de dévotion qui alla s’exagérant pendant un demi-siècle. Le mariage du nouveau roi avec la princesse Marie de Hongrie nouait l’alliance des souvenirs du roi saint Louis, de sa sœur Isabelle, de tous les saints de la maison de France, avec les souvenirs de sainte Elisabeth, grande-tante de la nouvelle reine de Sicile, et avec la lignée lointaine des saint Stanislas et des saint Etienne. Puis Robert, qui devint l’héritier de Charles II par la mort de Charles-Martel et la renonciation de Louis, épousa successivement deux princesses de la cour d’Aragon, cette cour tout enfermée dans les pratiques pieuses, et où Louis d’Anjou avait eu la révélation de la sainteté. La seconde femme de Robert, Sancia, avait un frère franciscain en Aragon et attira près d’elle un autre de ses frères, qui vécut à la cour de Naples comme un anachorète. Sancia elle-même, une fois reine, n’aspirait qu’au veuvage et au cloître. Robert connaissait les desseins de sa pieuse épouse et il les approuvait hautement, bien qu’ils fussent fondés sur l’attente de sa propre mort. Le roi, ce nouveau Salomon, comme l’appelaient les poètes, qui aimait à s’entourer de lettrés et déjà d’humanistes, qui fit de sa cour le centre d’une première Renaissance littéraire, et qui permit à sa capitale de participer au grand essor artistique de Sienne et