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Mais prenez l’un des plus fameux ouvrages de la littérature franciscaine, ce Livre des Conformités, où Bartolomeo de Pise a prolongé avec une dévotion si tendre et un pédantisme si ingénieux la comparaison du Christ et de saint François ; lisez les trois pages à deux colonnes que l’écrivain mystique a consacrées à saint Louis de Toulouse, dans le « huitième fruit » et la « huitième conformité. » Vous y verrez comment le saint français a ressuscité un enfant mort-né à Arezzo ; comment il a délivré de prison un homme de Civoctolo, près Pérouse, injustement accusé de meurtre ; comment il est apparu à un marin pisan sur le point de faire naufrage ; comment il a préservé d’une chute mortelle frère Forena, de Sienne, tandis que celui-ci réparait l’horloge de son couvent, à Montepulciano. Ainsi, à côté des miracles français officiellement proposés à l’édification de la chrétienté, il se forma toute une série de miracles italiens, dont la tradition se transmettait comme un héritage dans le groupe familial des monastères de Toscane.

Dans la suite la légende s’enhardit singulièrement. Non contente de faire paraître le saint en Italie après sa mort, pour y opérer des miracles, elle prétendit l’y faire naître : on en vint à placer le berceau de Louis d’Anjou non pas à Brignoles, mais à Nocera dei Pagani, une ancienne colonie sarrasine entre Naples et Saler ne. D’autres firent du second fils de Charles II son fils aîné, l’héritier désigné dès sa venue au monde, comme pour rendre sa renonciation plus solennelle encore. Et les meilleurs historiens ont été pris à ces pieuses erreurs.

Ainsi, autour des rares souvenirs que l’Italie gardait de saint Louis d’Anjou, avait monté toute une gerbe de légendes. Mais des récits multipliés et embellis dans les pérégrinations des moines errans n’auraient pas suffi à conquérir au saint étranger la popularité qui (l’a suivi longtemps. Si les franciscains d’Italie ont paré, comme ils l’ont fait, leurs livres et leurs églises des vertus études images de saint Louis de Toulouse, c’est qu’il était pour eux, non seulement un membre illustre de leur ordre, mais encore le type du saint franciscain.

Il faut se souvenir qu’au début du XIVe siècle, les disciples de saint François, surtout en Italie, luttèrent, au nom des premiers enseignemens de leur maître, à la fois contre ceux de leurs frères qui pactisaient avec le siècle et contre le pouvoir ecclésiastique effrayé de l’audace de leur christianisme. On sait comment ceux