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qu’ils présentaient comme la source des plus grands dangers ; elle ne devait plus se relever en France du coup que lui porta la dernière explosion démagogique : « Il semble, écrivait Mme de Staël dans une lettre particulière, que les Jacobins se chargent d’être l’épouvantail de tous les principes de liberté, pour empêcher que la nation ne s’y rallie[1]. » C’est à propos des troubles de 1799 que se formule, à titre de vœu public, la disposition célèbre qui va bientôt réduire à néant le droit d’association et qui pulvérise encore l’action politique des Français. Rœderer lança une brochure dont la conclusion était celle-ci : « La loi ne doit plus autoriser que les sociétés politiques dont le nombre des membres n’excède pas cinquante ; » mettez vingt au lieu de cinquante, et vous aurez l’article 291 du Code pénal, rédigé d’avance par un futur conseiller d’État de l’Empire.


VI

Les Jacobins tourmentaient ainsi Paris sans le soulever ; repoussés avec horreur par les « quatre-vingt-dix-neuf centièmes de la population, » ils n’en maintenaient pas moins tout le pays en crise et en transe. Cette poussée d’en bas troublait profondément la plupart des gouvernans ; elle surexcita Siéyès plus encore qu’elle ne l’émut. Il se mit, agissant dans les dessous, à préparer son coup d’Etat, destiné à établir un pouvoir non moins exclusif que l’incohérent Directoire, non moins hostile à quiconque n’aurait pas donné de gages à l’ordre nouveau, mais plus stable et mieux constitué, formant digue contre l’anarchie. Ici se saisit la différence entre l’intrigue traînante de Barras avec le prétendant et le projet fortement médité et ruminé par Siéyès. Au milieu de l’effondrement général, Barras ne cherchait que son salut personnel et se ménageait à tout hasard une issue pour s’évader de la république ; Siéyès voulait opérer le sauvetage de tout un parti, en recréant, au moins provisoirement, une république à l’usage des révolutionnaires pourvus, menacés aujourd’hui et serrés de près par les révolutionnaires dépourvus. Le public n’aimait pas les premiers, méprisait ce résidu tenace de la Révolution, mais préférait tout aux seconds ; son assentiment était certain. Néanmoins,

  1. Lettre à Garat, tirée des archives de Coppet, que M. le comte d’Haussonville a bien voulu nous ouvrir.