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que « vingt grenadiers » pour en finir ; Bernadotte, qui se trouvait alors à Paris et sans emploi, n’en demandait pas tant : « Vingt grenadiers, c’est trop ; un caporal et quatre hommes, c’est bien assez pour faire déguerpir les avocats. » Les deux directeurs cédèrent enfin ; à cinq heures du soir, leur démission fut portée aux Conseils. Il n’y eut pas, à proprement parler, coup d’État, mais épuration du Directoire sous une pression parlementaire, appuyée par des menaces de violence. Merlin disparut pour quelque temps ; La Révellière se retira dans sa maison d’Andilly, près de Paris ; lorsqu’il rentrait en ville, à pied, pour assister aux séances de l’Institut, les gens de la campagne l’insultaient grossièrement. Avant de démissionner, il avait fait allusion à de noirs projets qui s’agitaient dans les assemblées, à des trames homicides : « Les couteaux sont tirés, » avait-il dit ; déjà les couteaux, les poignards, fictifs poignards, existant seulement dans l’imagination de ceux qui avaient intérêt à les invoquer ! Quatre mois plus tard, Lucien et Napoléon Bonaparte les retrouveront dans l’arsenal des métaphores révolutionnaires.

Les Conseils remplacèrent immédiatement La Révellière par le général Moulins, une plate nullité, et Merlin par Roger-Ducos, ancien conventionnel, aujourd’hui législateur et dans l’intervalle juge de paix à Dax. Après ces nominations, les Conseils se maintiennent onze jours encore en permanence, et dans la chaleur des discussions haletantes, dans la fièvre des séances nocturnes, l’exaltation des esprits parvient à son comble ; elle durera près d’un mois. Pendant cette période, le corps législatif tend à se faire le centre du pouvoir et de l’action, comme s’il n’était sorti de son long servage que pour usurper à son tour. Les Cinq-Cents donnent l’impulsion, les Anciens la suivent. Aux Cinq-Cents, les Jacobins dominent ; non qu’ils soient les plus nombreux, mais ils ont l’audace, la discipline, l’élan ; sous leur pression, l’assemblée du Palais-Bourbon se transforme en une fournaise de fanatisme révolutionnaire, d’où sortent des lois de feu, brûlantes et corrosives. C’est la loi dite des otages, nouvelle loi des suspects, dont on verra le mécanisme persécuteur. C’est la loi appelant sous les drapeaux les conscrits de toutes classes non encore mis en activité ; pour subvenir aux frais de cet immense levée, le principe d’un impôt progressif de cent millions « sur la classe aisée » est voté ; l’application de ce principe, qui restait à déterminer par des actes ultérieurs, mettrait tous les biens en proie aux exactions