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retentissantes avaient toujours le don de soulever les esprits et de les faire vibrer. L’instant d’après, l’assemblée des Cinq-Cents retombait aux rivalités haineuses, aux contestations ignobles, aux propos poissards, car la Révolution eut à un égal degré la manie de l’emphase et la passion de l’injure.

Parfois un homme de cœur proteste contre l’arbitraire et les excès, rappelle la Révolution à ses principes : « C’est encore ce fou de Rouchon qui parle ! » disent ses collègues. Plusieurs étaient notoirement tarés, compromis dans de sales affaires d’argent, mêlés à des entreprises de fournitures, inféodés à des compagnies. Le Directoire avait aussi parmi eux ses louangeurs à gages, ses orateurs entretenus, ses « chanterelles. » En général, les talens manquaient moins que les caractères : il y avait des hommes intelligens, peu d’hommes utiles, des capacités mal employées, et l’ensemble composait un monde remué d’intrigues, s’épuisant en compétitions stériles, reconnaissant que tout allait mal et se souciant peu de rien réparer, un monde déclamateur et vain, gesticulant et grossier, dépourvu de cette décence extérieure qui recouvre, en temps de monarchie, les laideurs de la politique.

Pourtant, dans le personnel gouvernemental et législatif, quelques hommes, d’esprit plus ferme et plus avisé que les autres, se lassaient de vivre au jour le jour. Ils souffraient de voir la Révolution tourner aussi mal et tomber aussi bas ; ils s’en affligeaient d’autant plus qu’elle était leur carrière et leur bien. Du parti thermidorien se dégageait un groupe de politiques qui aspiraient à remplacer la tyrannie haletante du Directoire par un pouvoir aussi strictement révolutionnaire, mais plus stable, mieux assis, plus concentré, capable de faire connaître enfin au pays l’ordre public, de restaurer les finances, de signer la paix, de se rendre supportable en somme à la majorité des Français. Les principaux de ces hommes étaient, dans les Conseils ou à l’Institut : Boulay de la Meurthe, Chazal, Lemercier, Cornet, Cornudet, Régnier, Garât, Desmeuniers ; dans le ministère, Talleyrand, dont l’intelligence merveilleuse perçait l’avenir ; Rœderer leur prêtait dans la presse le secours de sa plume. Ce n’étaient nullement de vrais modérés et des libéraux ; la plupart avaient participé aux plus odieux excès ou aux pires défaillances. Seulement ils avaient assez de perspicacité pour s’apercevoir que l’édifice où ils s’étaient logés craquait de toutes parts et allait les écraser de sa chute ; ils songeaient donc à le reconstruire sur place, par une reprise en