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un flot de boue ; lorsqu’il fallut les tendre contre l’étranger, tout se trouva décomposé et pourri.

Nos soldats sans vivres, sans souliers, « sans bidons, sans marmites, sans gamelles, » sans linge pour les blessés, sans médicamens pour les malades, eurent à combattre des adversaires autrement redoutables que ceux de 1792 et de 1793 : en Allemagne, l’archiduc Charles ; en Italie, cet étrange Souvorof, qui unissait aux bizarreries d’un maniaque les talens d’un grand conducteur d’hommes et l’âme d’un croisé. Chez nous, la politique dictait souvent le choix des généraux. De plus, notre ligne d’opérations, se développant du Texel à Naples, offrait par son extension démesurée des facilités à l’attaque. Ces causes réunies amenèrent une succession de désastres : Jourdan battu à Stockach et rejeté sur le Rhin, Schérer et Moreau battus en Italie, la Lombardie perdue, la République cisalpine balayée, le Piémont entamé par Souvorof, Naples évacuée, la déroute de tous les gouvernemens institués par la France en Italie. A l’intérieur, l’Ouest s’agitait plus sérieusement ; dans le Midi, une campagne de brigandages et d’assassinats recommençait. A la lumière de ces événemens désastreux, l’impéritie du Directoire apparut à nu ; les fautes et les hontes de cette dictature de l’incapacité s’accusèrent en plein relief, et, bien que la presse fût étroitement surveillée, bien que l’agitation des partis se superposât à un fonds d’indifférence générale, une clameur de dégoût et de réprobation s’éleva.

Les Conseils étaient hors d’état de porter efficacement remède. Deux fois mutilés, ils ne montraient qu’une ombre de représentation nationale ; la majorité y suivait servilement l’impulsion des triumvirs. Les Anciens conservaient quelque prestige par la gravité de leurs délibérations. Aux Cinq-Cents, la tenue était mauvaise, sans être notablement inférieure à celle des Communes d’Angleterre, avec quelque chose de théâtral en plus. Chaque assemblée avait sa musique, qui jouait lors de l’entrée en séance et accompagnait la célébration des anniversaires solennels par une sorte de trémolo pathétique. Les représentans délibéraient en toge ; les Anciens avaient la robe rouge, « la pourpre sénatoriale, » les Cinq-Cents avaient la toge noire, par-dessus « leurs grosses houppelandes et leur crasse natale. » Affublés à l’antique, ils se croyaient tenus de parler romain ; les réminiscences classiques, les figures tirées de l’éloquence grecque et latine, les prosopopées