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majorité de modérés, compromise malheureusement par des intrigues et des complots royalistes, votait des mesures de réparation. On touchait à un changement de personnel et de système, sinon de régime. Les trois directeurs qui perpétuaient la tradition thermidorienne, Barras, Rewbell, La Révellière, les « triumvirs, » rallièrent alors autour d’eux tous ceux qui n’entendaient pas se laisser exproprier de la chose publique. Avec des régimens empruntés à Hoche et un général fourni par Bonaparte, ils firent le coup d’État du 18 fructidor. Ils violèrent la constitution pour la sauver, car le triomphe des Conseils eût abouti vraisemblablement à la renverser. Deux directeurs, cinquante-trois députés, des agens royalistes, deux généraux, furent condamnés sans jugement à la déportation, cent cinquante-quatre représentans éliminés des Conseils. La liberté de la presse fut suspendue, la magistrature épurée. Le corps législatif amputé conféra au Directoire ou plutôt au triumvirat des pouvoirs exceptionnels et presque dictatoriaux. Un renouvellement de rigueurs s’ensuivit contre les prêtres, les émigrés rentrés, les nobles, les écrivains indépendans, tous les suspects ; les triumvirs et les députés de leur bord frappèrent d’autant plus cruellement que l’alarme avait été plus chaude, qu’ils s’étaient sentis plus menacés, et la Terreur recommença sous le règne de ces trembleurs sinistres. Ce fut la terreur sèche, sournoisement homicide, qui substituait aux guillotinades le supplice lent de la Guyane ; encore faut-il ajouter que des commissions militaires, transformées en pelotons de condamnation, firent tuer beaucoup de monde.

Sous cette grande compression, l’opinion publique s’affaissa misérablement. Au dehors, les victoires de nos armées, les prodiges de Bonaparte, les belles campagnes de Moreau et de Hoche, l’Italie conquise, l’Allemagne envahie, la paix de Campo-Formio imposée à la maison d’Autriche entouraient d’une resplendissante auréole de gloire cette France en proie à de bas tyrans. Mais les directeurs, pour se défaire des modérés et des royalistes, avaient dû s’appuyer sur les pires élémens de désordre. Les ultra-révolutionnaires relevèrent la tête. Aux élections partielles de l’an VI, les Jacobins l’emportèrent. Le péril était maintenant à gauche. Pour y pourvoir, le triumvirat, qui s’était adjoint Merlin et puis Treilhard, procéda par épuration préventive. Le 22 floréal, il obligea les Conseils à invalider les choix des assemblées électorales au profit de candidats nommés par des minorités dissidentes.