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l’apôtre du parlementarisme, celui qu’on nomma « le Dieu vivant de la Liberté, » Itagaki, évoluer vers le socialisme d’État. La centralisation politique se consommant, sous la protection de l’armée, par le monopole absolu des industries et des écoles, du travail et de l’intelligence, ce serait peut-être le bonheur pour ce peuple qui s’effraie lui-même de ses tentatives d’émancipation. Mais j’ai dans l’idée qu’il n’arrivera pas si vite au bonheur…


Le soir même du jour où, tout rempli du spectacle de la fête, j’avais essayé d’ordonner mes impressions du Japon moderne et ce que je connaissais de son histoire, je traversais en compagnie d’un Japonais les vieilles enceintes féodales, et nous devisions de l’avenir du pays. L’orbe rouge du soleil couchant planait sur le parc impérial et faisait dans la pâleur du ciel comme un immense drapeau japonais. Mon compagnon, un personnage assez connu, me montra du doigt le palais invisible où semblait s’attarder l’œil du soleil, et me dit, avec une tristesse que cette étonnante fantasmagorie rendait plus grave encore :

— Le Japon sera tranquille, tant que cette demeure gardera l’hôte mystérieux qui l’occupe présentement. Mais je crains pour mon pays le lendemain de sa mort. Et il ajouta :

— Notre peuple n’est facile à gouverner que si le pouvoir reste anonyme et impersonnel, et je redoute par-dessus tout qu’on lui donne un jour un empereur trop intelligent.


ANDRE BELLESSORT.