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missionnaires rencontrèrent dans Yeyasu et son petit-fils Yemitsu des ennemis aussi intelligens qu’implacables. Leur hostilité ne s’exaspéra d’aucun fanatisme. Ils jugèrent la doctrine chrétienne et la condamnèrent en barbares et aussi en hommes d’Etat. Elle seule pouvait ranimer les dissensions, ressusciter les guerres civiles. Elle menaçait non seulement la sécurité morale du Japon, mais encore sa vie nationale. Derrière les franciscains et les dominicains accourus de Manille, les routiers d’Espagne flairaient une proie nouvelle, l’Escurial un nouvel empire. Les Tokugawa refusèrent de livrer à ces inquiétans apôtres la clef des cœurs. Enfin, ce qu’ils sentirent vaguement et redoutèrent d’autant plus, ce fut l’âme de liberté que la religion chrétienne exhale, et, si j’ose dire, le noble individualisme qui s’en dégage par la conscience qu’elle donne à chaque individu de sa propre dignité. Les idées qu’elle propageait ne tendaient à rien moins qu’à une nouvelle révolution, dont le Japon exténué ne pouvait courir le risque. Elle était arrivée cent ans trop tard ou cent ans trop tôt.

En 1638, les derniers chrétiens japonais se révoltèrent et furent massacrés non loin de Nagasaki, dans le château de Shimabara, où ils avaient soutenu un siège héroïque. Il est bien avéré qu’aucun Européen ne trempa dans cette rébellion et qu’elle fut moins provoquée par la persécution religieuse que par les iniquités féodales, qui s’étaient plus lourdement appesanties sur les paysans de la contrée. Mais, précisément, cette insurrection contre l’iniquité attestait l’influence émancipatrice du christianisme. Les pauvres gens, qui du haut de leurs remparts chantaient la gloire de Dieu et prenaient les anges à témoin de leur bon droit, troublèrent les assiégeans et les généraux envoyés par le shogun. Cela ne ressemblait point aux guerres qu’ils avaient faites. C’était la première fois qu’un cri montait vers l’éternelle justice à travers le fracas des armes. Oh ! la belle page de l’histoire japonaise ! Mais je comprends le soulagement des nouveaux maîtres du Japon, à la nouvelle que l’ordre régnait en cette Varsovie.

Les Portugais expulsés, toutes relations rompues avec la timide Angleterre, les protestans hollandais, seuls admis à commercer avec l’Empire, furent rélégués, comme des pestiférés, au port de Nagasaki, près du rivage, sur cet îlot de Deshima, qui ressemble à un éventail dont on aurait coupé le manche. Ils y donnèrent pendant plus de deux siècles le lamentable spectacle de la race blanche humiliée, avilie moins encore par le mépris dont