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goût du rare et de l’artificiel. Pointilleux sur les cérémonies, épris d’images fantastiques et de rites bizarres, il complique son étiquette et se façonne une politesse dont les formes se développent indépendamment des idées qu’elles recouvrent. On dirait en vérité que le bouddhisme, — ce puissant effort d’un peuple pour s’évader de la nature, — n’aboutit chez lui qu’à réglementer ses poses, et transformer son code mondain en une pompeuse et savante liturgie.

L’influence en fut plus profonde, et, dans cette jolie cour des Mikados, patriarches alanguis, environnés de femmes et de prêtres, et qui festinent au milieu des fleurs, parmi ces princes d’un sang divin, les Kugés, et ces princesses que de grands chars traînés par des bœufs promenaient sous les cerisiers du printemps et sous les érables rougis de l’automne, c’est lui qui éveille l’ombre des morts, entretient des commerces magiques, accroupit les superstitions aux carrefours triviaires et surtout amène les âmes au renoncement comme à une source de félicités nouvelles.

Renoncement souvent extérieur ! Celui qui détient le pouvoir n’en a que les ennuis, c’est-à-dire la pénible illusion. Mais s’il en délègue l’éclatant fantôme, il en possédera dans l’ombre la réalité. Le grand Çakya n’a-t-il pas prêché aux hommes qu’ils devaient sortir des apparences pour les dominer ? De même, c’est en se retirant de la fausse lumière du monde que l’empereur, dépouillé de ses insignes impériaux et revêtu de la robe des bonzes, gouvernera vraiment l’Empire. Que voilà le Bouddha un adroit politique ! Cette doctrine de l’Inkyo (littéralement : le fait de se retirer), qui flattait d’autant plus l’ambition du pouvoir qu’elle le débarrassait de toute responsabilité, ne manqua pas de séduire les Japonais. Les empereurs abdiquèrent, les uns par lassitude ou par convenance, les autres pour étendre à la faveur de ces pieuses ténèbres une autorité dont le grand jour accusait et restreignait les limites.

L’abdication devint une loi. Du trône, elle descendit aux ministres, aux shoguns, aux fonctionnaires, aux simples particuliers. Le petit marchand du Japon se retire avant l’âge et cède à son fils la direction de sa boutique. Les conséquences en furent très graves. Elle immobilisait des milliers d’hommes encore actifs et raccourcissait la vie sociale. Retranchés des affaires, où ils n’apportaient plus que les conseils d’une expérience incomplète, ces retraités, qui d’ailleurs n’avaient à craindre ni l’ingratitude ni