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s’était honoré autrefois en restituant Pignerol à la Savoie, voudrait profiter de l’occasion pour remettre la main sur cette place importante située au cœur du Piémont. Victor-Amédée, de son côté, au lieu de prendre Louis XIV au mot, d’accepter l’échange, et de se borner à repousser l’exigence de Pignerol, sur laquelle Louis XIV autorisait par avance son négociateur à ne pas insister[1], soulève de son côté des difficultés. Il veut bien céder le comté de Nice, mais il voudrait garder la vallée de Barcelonnette qui lui donne accès en France, tout comme Louis XIV veut avoir Pignerol pour s’assurer un accès en Piémont. Aussi envoie-t-il à Vernon un « Mémoire des confins qu’on pourroit régler pour la séparation des États qui resteroient à Son Altesse Royale d’avec ceux de la France, au cas que le projet de l’échange de la Savoie et du comté de Nice dût avoir son effet[2]. » Naturellement cette limitation est toute à son avantage. Il voudrait bien aussi qu’on ajoutât au Milanais le Montferrat, ou tout au moins le marquisat de Final, et, par ses refus ou ses exigences, il retarde maladroitement la signature du traité jusqu’à certain matin du 7 novembre, où Vernon est fort étonné de trouver à Torcy l’aria per cosi dire fredda, et où celui-ci ne lui montre aucune confidenza[3]. C’est que, ce matin-là, un courrier est arrivé, apportant la nouvelle de l’agonie du roi d’Espagne. Victor-Amédée, prévenu de son côté, comprend la faute qu’il a faite, et, hâtivement, il s’efforce de la réparer. Tout en se plaignant à Vernon de la froideur avec laquelle Torcy « a parlé sur la négociation entamée avec Sa Majesté Très Chrétienne, qui apparemment n’est qu’un artifice pour nous mettre, comme on dit, la puce à l’oreille et nous faire franchir le pas suivant le désir de Sa Majesté, pour l’utilité très considérable qu’Elle y trouverait, » coup sur coup il lui envoie deux dépêches. Il est prêt à céder tout le comté de Nice, avec la vallée de Barcelonnette. Que Vernon ne parle plus du Montferrat ! Qu’il ne parle même plus du marquisat de Final ! Mais qu’il obtienne la signature des deux traités dont, par le même courrier, le texte lui est envoyé, l’un d’échange, l’autre d’alliance, et qu’il donne tous ses soins « à une affaire de si grande importance, et des plus éclatantes qui se soient jamais ménagées pour la gloire et

  1. Recueil des Instructions, etc., t. Ier, p. 243.
  2. Archives de Turin, Lettere Ministri Francia, mazzo 129. Victor-Amédée au comte de Vernon, 28 octobre 1700.
  3. Archives de Turin. Lettere Ministri Francia, mazzo 128. Vernon à Victor-Amédée, 7 nov. 1700.