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connoître au marquis de Saint-Thomas, s’il vous en reparle encore. Vous direz que je ne vous ay point instruit de mes intentions, voyant que le rétablissement de la santé du roi d’Espagne devoit suspendre toutes les mesures que l’on avoit prises en cas d’ouverture de la succession de ce prince[1]. »

Nous connaissons aujourd’hui ces conjonctures auxquelles Louis XIV faisait allusion. A son tour, il usait d’une défaite, et le rétablissement de la santé du roi d’Espagne ne suspendait aucune des mesures prises en vue de l’ouverture de sa succession. Nous savons au contraire qu’à cette même époque, Louis XIV traitait avec Guillaume III du partage de la monarchie espagnole, et que l’attribution du Milanais était précisément un des points en discussion entre eux. Par une dépêche en date du 17 avril, c’est-à-dire antérieure de six jours à celle que nous venons de citer, Louis XIV chargeait le comte de Tallard, son ambassadeur à Londres, de soumettre à Guillaume III l’alternative de deux projets de partage. Dans l’un de ces projets, le duché de Milan était bien attribué au duc de Savoie ; mais, dans l’autre, ce même duché devenait le lot de l’archiduc Charles, second fils de l’empereur Léopold, la France se réservant, bien entendu, dans l’une et l’autre alternative, une part considérable de l’héritage[2]. Si, dans sa dépêche du 23 avril à Briord, Louis XIV lui mandait de retirer la proposition faite par lui à Saint-Thomas, c’est qu’il était informé d’autre part, par Tallard, de l’invincible répugnance de Guillaume III à comprendre Victor-Amédée dans le partage. Poursuivant ainsi une négociation en partie double, il n’y a pas à s’étonner que Louis XIV ne voulût pas être engagé d’un seul côté au-delà d’une certaine mesure, et qu’il sût mauvais gré à son ambassadeur d’avoir été sur le point de le lier par un traité en forme avec le duc de Savoie, au lieu de se borner à une simple ouverture dont il pourrait toujours se dédire. Mais il n’y a pas à s’étonner non plus que Victor-Amédée, assez pénétrant pour se douter de ces négociations mystérieuses, auxquelles il était à la fois partie et étranger, sentît redoubler sa mauvaise humeur vis-à-vis de la France, et qu’il cherchât à nouer en Europe d’autres intelligences. Briord signalait dans ses dépêches les commerces que le duc de Savoie entretenait de tous les côtés, mais en particulier

  1. Aff. étrang., Corresp. Turin, vol. 100. Le Roi à Briord. 23 avril 1699.
  2. Voir le texte de cette dépêche et le récit de cette négociation dans l’ouvrage de M. Hermile Reynald : Négociations entre Louis XIV et Guillaume III, t. Ier, p. 91.