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s’écartera jamais sans dommage. A l’époque qui nous occupe, il eût même été à souhaiter que Louis XIV s’attachât davantage à ce sage projet, et que, dans ses relations diplomatiques avec la Savoie, il ne fît pas preuve d’un peu de versatilité, ou même, comme nous l’allons voir, de dissimulation.

Bien qu’il lui eût été recommandé de ne témoigner aucun empressement, et d’attendre les ouvertures du duc de Savoie, Briord, peu familier avec les finesses de son nouveau métier, crut sans doute mieux faire de provoquer sur la question du Milanais les explications du marquis de Saint-Thomas, le seul ministre de Victor-Amédée qui eût son secret. Sans plus de façons, il lui proposa la conclusion d’un traité aux termes duquel la France et la Savoie s’engageaient, au cas de la mort du roi d’Espagne, à combiner leurs forces pour envahir le Milanais, et à faire obstacle à l’occupation de cette province par les armées impériales. Le Milanais, ainsi occupé, aurait été rétrocédé à Victor-Amédée, en échange de la Savoie et du comté de Nice. Mais Briord ne connaissait pas bien encore le prince avec lequel il avait à traiter. C’était l’habitude de Victor-Amédée, toutes les fois que quelque proposition précise lui était faite, d’en suggérer immédiatement une différente, avec l’arrière-pensée que les difficultés soulevées, ou l’indifférence affectée par lui, lui vaudraient en fin de compte quelque arrangement plus avantageux. En présence de cette proposition formelle, Saint-Thomas, après avoir pris les ordres de son maître, se déroba. Il allégua que, dans une aussi grave matière, une entente préalable avec la République de Venise, avec les autres princes d’Italie, avec le Pape lui-même, serait nécessaire. C’était une défaite. Briord le comprit bien, et, un peu mortifié, il en rendit compte au Roi dans une longue dépêche. Il eut d’autant plus lieu de regretter sa malencontreuse démarche que sa conduite ne fut pas approuvée à Versailles[1]. Il fut blâmé d’avoir fait le premier des ouvertures à Saint-Thomas, « qui avoit écouté sans s’ouvrir, » voulant forcer Briord à s’expliquer davantage, « dans la pensée qu’il feroit des offres plus avantageuses. » « Heureusement, ajoutait la dépêche du Roi, la démarche que vous avez faite, par trop de zèle pour le bien de mon service, n’a rien gâté dans les conjonctures présentes… Il n’est plus question de suivre les offres que vous avez faites. C’est ce que vous ferez

  1. Aff. étrang., Corresp. Turin, vol. 100. Briord au Roi, 12 avril 1698. )