Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 158.djvu/314

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aujourd’hui, de la carrière. Il était premier écuyer de M. le Prince. Ce fut Torcy, son ami, qui le fit choisir. « Le sujet étoit bon, dit Saint-Simon, mais le monde fut surpris du lieu où on avoit été chercher un ambassadeur[1]. » Nommé en février 1695, Briord ne rejoignit son poste qu’en avril, et ne fit son entrée publique à Turin qu’en décembre. Les instructions qu’il emportait avec lui sont datées du mois de mars[2]. Ces instructions se ressentaient du souvenir des anciennes fautes et du désir de ne pas les renouveler. Après avoir mis Briord en garde contre l’humeur du prince, « ambitieux, inquiet, dissimulé, jaloux de son autorité, » auprès duquel il était envoyé, on lui recommandait de faire connaître au duc de Savoie les intentions du Roi, « avec douceur, mais en même temps avec toute la fermeté qui convient à ceux qui ont l’honneur de parler au nom de Sa Majesté. » Il devait travailler, par sa conduite, à établir dans l’esprit du duc de Savoie « l’opinion que l’ambassadeur de Sa Majesté n’est point envoyé auprès de lui pour le contraindre, » mais, en même temps, il devait bien faire comprendre au duc de Savoie « les raisons pressantes qui doivent le porter à se conduire d’une manière qui fasse connaître au Roi, de plus en plus, que ce prince regarde ses intérêts comme inséparables de ceux de Sa Majesté. » Enfin, si le duc de Savoie, comme il y avait toute apparence, soulevait à nouveau la question de la succession d’Espagne et s’appuyait sur l’article 14 du traité d’action pour revendiquer, le cas échéant, le Milanais, Briord devait faire tout son possible pour « éluder » la question et, s’il ne pouvait éviter qu’elle ne lui fût faite ; « dans les formes, » il devait répondre que, « l’article 14 de ce même traité ne devant avoir aucun effet si la neutralité d’Italie est acceptée, il n’a point reçu d’instructions du Roi sur ce qui est contenu dans l’article 14. »

Tessé attendait l’arrivée de Briord à Turin pour prendre congé. A l’en croire, le nouvel ambassadeur aurait fait bonne impression. « Il m’a paru, écrivait Tessé au Roi dans sa dernière

  1. Saint-Simon, édition Boislisle, I. IV. p. 34.
  2. On trouvera ces instructions dans la publication entreprise depuis quelques années par la Commission des Archives diplomatiques sous ce titre : Recueil des instructions données aux ministres et ambassadeurs de France. Savoie, Sardaigne et Mantoue. t. II. p. 189. Les deux volumes consacrés à la Savoie sont précédés d’une judicieuse introduction de M. le comte Horric de Beaucaire, où il a mis excellemment en lumière les (relations, parfois si compliquées, de la France et de la Savoie.