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n’était pas tout. Les conventions mêmes, qui étaient intervenues à Turin entre Louis XIV et lui, avaient apporté à ses convoitises un nouvel aliment. Le traité par lequel la paix avait été conclue entre la France et la Savoie avait été, sur les instances mêmes de la France, doublé d’un second traité secret dit traité d’action[1], par lequel Victor-Amédée s’engageait à joindre ses troupes à celles du Roi en vue de chasser d’Italie les Impériaux, et pour le déterminer à cette action commune, Louis XIV avait dû consentir à l’insertion dans le traité d’un certain article par lequel « en cas que pendant la présente guerre la mort du Roi Catholique arrivât sans enfans, Sa Majesté Très Chrétienne s’obligeoit d’aider de tout son pouvoir son Altesse Royale sur le Milanais » et renonçait « en cas de mort du dit Roi Catholique à toute prétention, par conquête ou autrement, sur le duché de Milan. » A la vérité, Louis XIV se trouvait dégagé des obligations que lui imposait cet article 14 du traité, puisque la guerre avait pris fin sans que le Roi Catholique eût jugé bon de mourir, mais il y avait là de sa part une sorte de promesse, et Victor-Amédée ne devait pas le lui laisser oublier.

En effet, dans une dépêche du 17 décembre 1696, Tessé rendait compte au Roi d’un « discours général » que le duc de Savoie lui avait tenu, à propos des embarras et des troubles que ferait naître la mort du roi d’Espagne, mais où ce prince n’avait pas manqué cependant de soulever la question spéciale du Milanais. En homme prudent, Tessé avait fait une réponse vague, et il demandait des instructions. Louis XIV s’empressait de lui répondre : « J’étois bien persuadé que les moindres apparences d’une ouverture à cette succession inspireroient au duc de Savoie le désir de profiter de quelque partie, et je vois qu’il vous a déjà communiqué ses desseins sur le duché de Milan, qu’il demande mon assistance pour cet effet, et qu’il veut m’engager à la luy donner, par l’interest que j’ay d’empescher l’Empereur d’ajouter ce duché aux autres estats qu’il possède. Ce prince doit estre persuadé que je souhaite plus que personne ses avantages solides, que cette raison me touche encore plus que celle de l’acquisition qu’il me propose. Mais le temps de prendre des mesures sur ce sujet n’est pas

  1. Legrelle, la Diplomatie française et la Succession d’Espagne, p. 406. Le traité d’action n’est pas en effet reproduit par Dumont, Corps universel diplomatique du droit des gens qui se borne à reproduire le traité de paix, t. VIII. Partie 2, p. 368. Mais le texte « convenu et expédié » par Tessé le 30 mai 1696 se trouve aux Affaires étrangères. Corresp. Turin, vol. 96.