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enveloppé de toutes parts, sauf du côté de Djibouti, par des colonies ou protectorats britanniques.

M. Lagarde atteignit Addis-Abbaba dans les premiers jours de mars. Il y rencontra le même et chaleureux accueil qu’à Harrar. Il eut avec Ménélik de fréquens entretiens, où l’intelligence et la prudence du souverain éthiopien se révélèrent. L’empereur avait une politique très personnelle, qu’il savait merveilleusement soustraire aux influences variées et contraires qui cherchaient à s’exercer sur lui. Il était parfaitement résolu à revendiquer comme frontière occidentale le Nil entre le 5e et le 14e degré de latitude nord, décidé à en prendre possession effective en y installant des postes, mais soucieux aussi de ne point s’exposer, par des démarches précipitées et publiques, à des réclamations pressantes ou brutales de la Grande-Bretagne. Bref, la perspective de rencontrer des amis français sur la rive gauche tandis qu’il pousserait ses avant-gardes sur la droite lui souriait fort, à la condition expresse qu’on lui donnerait toutes garanties complémentaires du respect, d’ailleurs très réel, que l’on professait pour l’indépendance de son empire. A cet égard, l’afflux peut-être excessif d’Européens sur ses territoires[1] n’était pas sans éveiller quelques soupçons dans son entourage : la nation éthiopienne ne demandait pas mieux que d’entrer dans le cycle européen, au point de vue diplomatique ; elle en sentait même l’impérieuse nécessité, après ses mésaventures avec l’Italie ; mais elle entendait rester elle-même, et tout ce qui semblait tendre à la violenter lui portait légitimement ombrage.

Le représentant de la France n’eut pas trop de peine à dissiper les malentendus que d’ingénieux adversaires de notre influence, puissamment « éclairés » par les moyens d’insinuation et de propagande usités en pareil cas dans la diplomatie européenne, avaient cherché à créer sur nos véritables intentions. Il fit valoir le caractère principalement scientifique, et en tout cas très éphémère, des missions Clochette et Bonvalot[2]. Il obtint pour elles

  1. En dehors des missions diplomatiques officielles, de M. Clochette et de M. Bonvalot avec leur suite, deux Russes, MM. Léontieff et Babicheff, le prince Henri d’Orléans, d’autres encore, d’importance moindre, étaient en cours de voyage pour parcourir l’Abyssinie.
  2. C’était en effet des travaux ethnographiques et géographiques que ce dernier avait été chargé de faire par le ministre de l’Instruction publique. Le ministre des Colonies n’était intervenu que subsidiairement par la lettre suivante, du 17 janvier, à M. Bonvalot : « Je verrai avec plaisir que vous cherchiez à intéresser le négus à vos projets et que vous parveniez à gagner sa confiance, tout en vous abstenant avec soin de conversations d’ordre politique… Je vous prie notamment d’étudier la question de savoir dans quelles conditions des communications régulières pourraient s’établir entre la vallée du Nil et la côte somali, et s’il serait possible d’assurer par l’Afrique orientale le ravitaillement de nos possessions de l’Oubanghi. »