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On a quelque peine à se figurer l’émoi qui n’eût pas manqué de s’emparer et du Parlement et de l’opinion, si les opérations engagées eussent été brusquement interrompues. Et pourquoi, sous quel prétexte, pour quel motif, apparent ou réel, l’eussent-elles été ? A quelles incohérences dernières ne serait point réduite la politique extérieure de la France, si chaque crise ministérielle impliquait un changement de système ? N’est-ce pas assez de constater chaque jour les progrès de l’anarchie administrative et de la stérilité législative, provoquées par de trop fréquentes mutations dans le personnel gouvernemental ? Faudrait-il donc que, pour rendre le mal plus difficilement curable, les mêmes ressauts se produisissent dans la gestion de nos intérêts permanens au dehors que dans le choix du personnel intérieur et dans la distribution des débits de tabac ? Le cabinet Méline n’avait aucune raison de condamner et de répudier l’initiative de ses prédécesseurs ; les mêmes considérations qui avaient dicté les instructions du 24 février subsistaient trois mois plus tard, non pas seulement dans leur intégrité première, mais, si l’on peut s’exprimer ainsi, avec une acuité nouvelle tirée des conflits que nous suscitait par ailleurs la puissance rivale à laquelle la mission Marchand avait mandat de faire échec[1]. Le devoir des nouveaux ministres était tout indiqué ; ils n’y faillirent point, s’appliquant avec persévérance, et à préciser autant qu’il était utile le caractère et la portée de l’œuvre de M. Marchand, et à en favoriser l’exécution à l’aide de toutes les ressources complémentaires dont l’expérience révélerait la nécessité.

La tâche n’était peut-être pas aussi aisée qu’on serait tenté de se l’imaginer. Tout d’abord, quiconque a touché, de près ou de loin, aux affaires coloniales, sait combien il est difficile d’obtenir du personnel, civil ou militaire, la coordination et la subordination désirables. Eloignés du pouvoir central au point de n’en plus sentir ni la direction ni l’autorité ; exaltés par la grandeur des travaux qui leur sont confiés et qu’ils sont enclins à s’exagérer par le bruit qui se fait autour de quelques-uns d’entre eux ; exaspérés et par les obstacles auxquels ils se heurtent et par les rigueurs des climats tropicaux ; énervés par de longues périodes d’isolement qui alternent avec un contact trop étroit de leurs collaborateurs les plus immédiats, les agens coloniaux se laissent

  1. Les événemens de Madagascar, les multiples incidens de la boucle du Niger, sont encore présens à toutes les mémoires.