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pas à empêcher les préparatifs de l’expédition de Dongola[1].

Cette conception se défendait d’elle-même. L’idée de traverser l’Afrique de l’Ouest à l’Est, tandis que M. Cecil Rhodes affichait l’ambition de la franchir du Sud au Nord, régnait en France depuis plusieurs années. On ne voulait pas que, maîtresse de fait en Égypte, de droit et de fait au Cap, l’Angleterre s’emparât de la totalité de la vallée du Nil. On s’était avisé qu’en prenant pied sur le cours moyen du grand fleuve africain, la France serait peut-être mieux à même de contrôler quelque jour la politique du Delta, qui laisse l’Europe, divisée contre elle-même, si fâcheusement indifférente. On se disait qu’en vue des grandes liquidations et des grands partages d’un avenir plus ou moins proche, il n’était point inutile de s’assurer de quelques objets d’échange, voire de quelques possessions supplémentaires pour lesquelles les plus pessimistes pouvaient rêver un avenir aussi brillant et aussi imprévu que celui que la volonté humaine, secondée par la science, a procuré aux « arpens de neige » du Canada et aux sables naguère stériles de nos Landes françaises. De là, en 1894, la campagne diplomatique victorieuse menée par le quai d’Orsay pour empêcher l’Angleterre d’instituer le roi Léopold, ou plus exactement l’Etat indépendant du Congo, comme « tampon » entre le Congo français et la rive gauche du Nil. De là, presque aussitôt après, le mandat donné à M. Liotard par M. Delcassé, lorsqu’il était au pavillon de Flore, de chercher par le Haut-Oubanghi une issue sur le Nil à nos possessions de l’Afrique centrale[2]. De là enfin, sous la pression des circonstances que l’on a rappelées plus haut, la pensée de renforcer M. Liotard, à l’heure précise où l’Angleterre semblait décidée à recommencer la conquête, une première fois avortée, du Soudan égyptien, et, tandis que le commissaire du Haut-Oubanghi poursuivrait son action dans la région où tant de succès avaient déjà couronné ses efforts, la résolution de lui donner un adjoint pour accomplir la même œuvre un peu plus au Nord, dans le Bahr-el-Ghazal.

Nul, au surplus, ne pouvait contester ni la bonne foi de la France, ni son droit strict d’en agir ainsi. Les incidens de 1894,

  1. On sait que, quelques semaines auparavant, l’Angleterre avait émis la prétention de faire payer par la caisse de la Dette égyptienne les frais de cette expédition. La France agit en sorte que la caisse demeurât fermée pour cet usage, mais l’Angleterre fit les avances nécessaires.
  2. M. Delcassé a toujours revendiqué avec raison la paternité des instructions données à M. Liotard. Voyez notamment le Livre jaune de 1898, p. 18, 23, 24.