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Là PETITE DERNIÈRE. 21

Vous trouverez près de la chapelle les breaks où nos compagnons de voyage sont en train de déballer les provisions...

— Merci du renseignement, commandant, nous allons en profiter. .. A bientôt !...

Les deux couples se remettent en marche, au milieu de la fouie qui se presse autour des baraques où l’on vend des objets de piété et sous les tentes où l’on mange. Chaque paroisse a apporté son contingent de costumes originaux. Les gens de Châteaulin, aux vêtemens noirs et aux attitudes sévères, semblent de vivans portraits du moyen âge ; les femmes surtout, avec leurs blanches collerettes empesées et leurs coiffes rigides. Les bigondens de Pont-1’Àbbé, aux corsages brodés de vert et de jaune, aux cheveux relevés au sommet de la tête sous un bonnet de doreloterie, ont des airs d’idoles finlandaises. Les jupes et les vestes bleues des paysannes de Quimper,les coiffes aux ailes palpitantes des filles de Rosporden et de Fouesnant jettent une note plus gaie et plus coquette dans cet ensemble un peu austère. On arrive enfin près des breaks, où l’on retrouve les baigneurs de l’hôtel très affairés à s’assurer une part dans la distribution des vivres. L’apparition de Lucile et de Tonia, aux bras du peintre et de son compagnon, l’état lamentable de leur toilette provoquent une émotion peu indulgente de la part de leurs commensaux. On les dévisage avec des mines scandalisées ; la famille du sous-préfet les salue d’un sourire ironique ; le clergyman et ses filles s’écartent comme s’ils craignaient d’être contaminés par le contact de ces brebis galeuses.

Cependant, autour des nappes étendues sur l’herbe, chacun s’est installé plus ou moins à l’aise. Les appétits sont aiguisés par le long trajet qu’il a fallu faire de Morgat à Sainte-Anne ; l’air de la mer a asséché les gosiers ; on se dispute les viandes froides, on remplit les verres à la ronde. Mais à peine les convives sont-ils en train de déchirer à belles dents leur pilon de volaille, avec des mines de cannibales, qu’un grain violent crève sur leurs têtes et provoque un sauve-qui-peut général. Lucile et Salbris se sont réfugiés sous la capote d’un landau ; là, blottis dans l’ombre, ils se partagent une tranche de pâté et boivent dans le même verre, sans souci du qu’en-dira-t-on. Paulette grimpe dans l’un des breaks et s’y abrite sous un large parapluie ; dans sa hâte, elle n’a pris sur la nappe qu’un morceau de pain qu’elle grignote avec résignation. Rivoaleil accourt. En